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AGRICOLA.

quitta heureusement de sa commission, et n’eut pas beaucoup de sujet de se louer de la gratitude de ses maîtres : aussi les laissa-t-il là et se remit à voyager. Il n’avait garde, amateur de sa liberté comme il l’état, d’accepter la principalité de collége que ceux d’Anvers lui offrirent. Comment l’aurait-il acceptée, puisqu’il avait refusé d’entrer, sous des conditions très-avantageuses, chez l’empereur Maximilien ? Il préférait le repos et l’indépendance à toutes choses ; c’était avoir le goût bon. Après avoir mené une vie fort ambulatoire, il se fixa au Palatinat, où l’évêque de Worms, auquel il avait enseigné le grec, trouva le moyen de l’arrêter. Ce fut l’an 1482 qu’il alla au Palatinat ; il y passa tout le reste de sa vie (D), tantôt à Heidelberg, tantôt à Worms. L’électeur palatin se plut à l’entendre discourir sur l’antiquité, et souhaita qu’il composât un Abrégé de l’ancienne Histoire. Agricola le fit en habile homme. Il lut en public à Worms ; mais ses auditeurs, étant plus faits aux chicaneries de la dialectique qu’aux belles-lettres, n’avaient pas le tour d’esprit qu’il souhaitait. Il commença d’étudier en théologie à l’âge d’environ quarante ans ; et n’espérant pas d’y réussir sans l’intelligence de l’hébreu, il s’attacha à l’étude de cette langue ; et, avec le secours d’un Juif, il commençait à y faire de bons progrès (E). La mort qui le vint saisir à Heidelberg, le 28 d’octobre 1485 [a], ne lui donna pas le temps de continuer. Il se résigna chrétiennement aux ordres d’en-haut, et fut enterré en habit de cordelier dans l’église des Frères Mineurs de cette ville. La description qu’on a faite de son caractère peut persuader aisément que c’était un fort honnête homme, franc, sans envie, modéré, de belle humeur. Il ne se maria jamais, quoiqu’il eût aimé ou fait semblant d’aimer quelquefois. Il avait en ses jeunes ans résolu de se marier ; mais, après avoir examiné profondément ce qu’il allait faire, il abandonna ce dessein, non pas tant par la crainte des incommodités domestiques, que par une certaine paresse naturelle qu’il se sentait (F), qui le faisait succomber aux moindres soins. On ne dirait pas qu’un homme aussi enfoncé que lui dans les études de l’antiquité ait su chanter sur les instrumens les chansons qu’il faisait lui-même ; cependant il donnait quelquefois ce régal aux dames (G). On prétend que sur le chapitre de la religion il avait senti quelques avant-goûts de la lumière qui parut au siecle suivant (H). Il laissa ses livres à Adolphe Occo, natif de Frise, et médecin de la ville d’Augsbourg[b]. M. Moréri n’a pas eu raison de dire qu’Érasme et Agricola firent connaissance à Ferrare (I). Le sieur Paul Freher n’a pas entendu tout ce qu’il a copié d’Érasme (K) à la louange d’Agricola. Nous apprenons du même Érasme qu’Agricola mourut pour n’avoir pas été secouru

  1. Érasme avait donc été trompé, lorsqu’il avait ouï dire qu’Agricola mourut avant l’âge de quarante ans. Adagior., Chil. I, Cent. IV, num. 39.
  2. Tiré de Melchior Adam, Vit. Philos., pag. 13 et suiv.