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AGRICOLA.

qu’il avait dit un autre jour que c’était un grand impie qui n’avait mérité qu’à peine d’être enterré ? Non minùs eruditus et in censendâ metallorum naturâ curiosus fuit quàm verè impiùs, nulli addictus religioni, ut post mortem vix sepeliri meruerit[1].

(D) Voilà des fruits du zèle aveugle. ] Il n’y a point aujourd’hui de protestant qui ne condamne la conduite que l’on tint envers ce cadavre ; et je ne doute pas que dès ce temps-là la plupart des luthériens ne la condamnassent. Melchior Adam paraît en jeter toute la faute sur le ministre du lieu. Il est maintenant plus aisé de voir le désordre de ce faux zèle ; le temps a calmé les ressentimens qui, comme des tempêtes impétueuses, dérobaient la vue du ciel :

Eripiunt subitò nubes cœlumque diemque
Teucrorum ex oculis : ponto nox incubat atra[2].


À quoi ne se porte-t-on pas pour user de représailles, et lorsqu’on a sujet de parler ainsi ?

Res dura, et regni novitas, me talia cogunt Moliri[3].


Le sieur Freher remarque qu’Agricola se mit tellement en colère dans une dispute de théologie, qu’il gagna une fièvre chaude qui l’emporta[4]. Il ne cite que Melchior Adam, qui n’en dit rien. Il faut croire qu’Agricola avait irrité les luthériens par des marques d’une aversion excessive. Pierre Albinus le représente[5] comme un catholique romain obstiné. Comparez cela, je vous prie, avec le premier Scaligerana.

  1. Scaligerana prima, pag. 73.
  2. Virgile Æneid., lib. I, vs. 88.
  3. Dido apud Virgilium, Æn. lib. I, vs. 563.
  4. Paul. Freheri Theatr. Viror. Illustr., p. 1238.
  5. Dans La Chronique de Misnie.

AGRICOLA (Jean), théologien saxon, né à Islèbe[a] le 20 d’avril 1492[b], ne causa que des désordres dans la religion protestante qu’il embrassa. On a dit qu’il avait suivi l’électeur de Saxe en qualité de son ministre à la diète de Spire, l’an 1526, et à celle d’Augsbourg, l’an 1530 ; mais il est sûr qu’il ne fit ces deux voyages qu’en qualité de ministre du comte de Mansfeld. Il est vrai que ce comte les fit avec l’électeur de Saxe, et que pendant ce temps-là son ministre prêcha quelquefois devant l’électeur, et voilà l’origine de la méprise. Agricola ne réussit pas mal à prêcher ; cela lui fit croire qu’il était un grand personnage, et qu’il pouvait s’élever au-dessus de Mélanchthon. C’est pourquoi il écrivit contre lui, en 1527[c]. Son humeur inquiète et ambitieuse l’engagea, en 1536, à demander permission de sortir de sa patrie, où il exerçait le ministère et la principalité du collége. Sa demande fut accompagnée de plaintes, et parut si déraisonnable au comte de Mansfeld, qu’il n’obtint son congé qu’avec de fâcheux reproches d’ingratitude, d’avarice et d’ivrognerie ; outre qu’on lui dit qu’il avait exercé sa charge négligemment, et plus disputé contre les évangéliques que contre les catholiques. Il s’en alla à Wittemberg, et y obtint une chaire de professeur et de ministre. Il enseigna des doctrines peu édifiantes touchant l’usage de la loi sous l’Évangile ; en un mot il devint fondateur de la secte antinomienne[d]. Luther, qui avait été son bon ami (A), l’attaqua bien rudement, et l’obligea à promettre qu’il rétrac-

  1. Ville du comté de Mansfeld. Il était aussi commun sous le nom de d’Islebius que sous celui d’Agricola.
  2. Melch, Adam, Vit. Theologor., pag. 409.
  3. C’était touchant le formulaire de la Visite ecclésiastique, dressé par Melanchthon.
  4. Voyez l’article Islébiens.