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ACOSTA.

ne pouvait pas les subir. Là-dessus ils résolurent de le chasser de leur communion ; et l’on ne saurait représenter les avanies qui lui furent faites depuis ce temps-là, et les persécutions qu’il eut à souffrir de la part de ses parens. Ayant passé sept années dans ce triste état, il prit le parti de déclarer qu’il était prêt à se soumettre à la sentence de la synagogue ; car on lui avait fait entendre qu’au moyen de cette déclaration il se tirerait d’affaire commodément, parce que les juges, satisfaits de sa soumission, tempéreraient la sévérité de la discipline. Mais il y fut attrapé : on lui fit subir à toute rigueur la pénitence qui lui avait été d’abord proposée (E). Voilà ce que j’ai tiré, sans déguisement ni altération, et sans prétendre garantir les faits : voilà, dis-je, ce que j’ai tiré d’un petit écrit composé par Acosta[a], publié et réfuté par M. Limborch[b]. On croit qu’il le composa peu de jours avant sa mort, et depuis qu’il eut résolu de s’ôter la vie. Il exécuta cette étrange résolution un peu après qu’il eut manqué son principal ennemi[c] : car dès que le pistolet qu’il avait pris pour le tuer dans le temps qu’il le vit passer devant sa maison eut fait faux-feu, il ferma sa porte, et, prenant un autre pistolet, il s’en tua[d]. Cela se fit à Amsterdam ; mais on ne sait pas au vrai en quelle année (F). Voilà un exemple qui favorise ceux qui condamnent la liberté de philosopher sur les matières de religion ; car ils s’appuient beaucoup sur ce que cette méthode conduit peu à peu à l’athéisme ou au déisme (G). Je toucherai la réflexion que fit Acosta sur ce que les juifs, pour le rendre plus odieux, affectaient de dire qu’il n’était ni juif, ni chrétien, ni mahométan (H).

  1. Intitulé, Exemplar Vitæ humanæ.
  2. Voyez ci-dessus la citation (a).
  3. C’était son frère ou son cousin. Limborch. in præfat. Exemplar. Vitæ human.
  4. Limborch, ibid.

(A) La nature lui avait donné de bonnes inclinations. ] Il était si tendre et si porté à la compassion qu’il ne pouvait s’empêcher de verser des larmes quand il entendait le récit de quelque malheur arrivé à son prochain. La pudeur avait jeté de si profondes racines dans son âme, qu’il ne craignait rien autant que ce qui pouvait le déshonorer. Courageux et susceptible de colère dans une occasion légitime, il s’opposait à ces insolens et à ces brutaux qui se plaisent à insulter, et il se joignait au parti faible. C’est le témoignage qu’il se donne. Infirmorum partes adjuvare cupiens, dit-il[1], et illis potiùs me socium adjungens.

(B) Qu’il avait eu le courage de catéchiser. ] Il n’oublie pas les circonstances qui étaient propres à relever le sacrifice qu’il faisait à sa religion. Il observe qu’il renonça à un bénéfice lucratif et honorable, et à une belle maison, que son père avait fait bâtir dans le meilleur quartier de la ville [2]. Il ajoute le péril de l’embarquement ; car ceux qui sont descendus des Juifs ne peuvent sortir du royaume, sans en obtenir du roi une permission spéciale : Navem adscendimus non sine magno periculo (non licet illis qui ab Hebræis originem ducunt a regno discedere, sine speciali regis facultate[3]. Enfin, il dit que si l’on eût su qu’il parlait de judaïsme à sa mère et à ses frères, on l’eût fait périr. Sa charité le porta à négliger ce danger : Quibus exo fraterno amore motus ea communicaveram, quæ mihi super religione visa fuerant magis consentanea, licet super aliquibus du-

  1. Uriel Acosta, in Exemplari Vitæ humanæ, init. pag. 346.
  2. Ibid., pag. 347.
  3. Ibid.