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ACOSTA.

Moïse. À peine l’eut-il commencé qu’il embrassa l’opinion des sadducéens : car il se persuada fortement que les peines et les récompenses de l’ancienne loi ne regardent que cette vie, et se fonda principalement sur ce que Moïse ne fait aucune mention ni du bonheur du paradis, ni du malheur de l’enfer. Dès que ses adversaires eurent appris qu’il était tombé dans cette opinion, ils en eurent une extrême joie, parce qu’ils prévirent que cela leur serait d’un grand usage pour justifier auprès des chrétiens la conduite de la synagogue contre lui, etc. De là vint qu’avant même que son ouvrage s’imprimât, ils publièrent[a] un livre touchant l’immortalité de l’âme, composé par un médecin, qui n’oublia rien de tout ce qui était le plus capable de faire passer Acosta pour un athée. On excita les enfans à l’insulter en pleine rue et à jeter des pierres contre sa maison. Il ne laissa pas de publier un ouvrage contre le livre du médecin, et d’y combattre de toutes ses forces l’immortalité de l’âme[b]. Les juifs s’adressèrent aux tribunaux d’Amsterdam, et le déférèrent comme une personne qui renversait tous les fondemens du judaïsme et du christianisme. On le fit emprisonner, on le relâcha sous caution au bout de huit ou dix jours, on confisqua l’édition du livre, et on lui fit payer une amende de trois cents florins. Il ne s’arrêta point là : le temps et l’expérience le poussèrent beaucoup plus loin. Il examina si la loi de Moïse venait de Dieu, et il crut trouver de bonnes raisons pour se convaincre qu’elle n’était qu’une invention de l’esprit de l’homme ; mais, au lieu d’en tirer cette conséquence, je ne dois donc pas rentrer dans la communion judaïque, il en tira celle-ci : Pourquoi m’obstinerais-je à en demeurer séparé toute ma vie, avec tant d’incommodités, moi qui suis dans un pays étranger dont je n’entends point la langue ? Ne vaut-il pas bien mieux faire le singe entre les singes ? Ayant considéré ces choses, il retourna au giron du judaïsme quinze ans après son excommunication, et il rétracta ce qu’il avait dit, et signa ce qu’on voulut. Il fut déféré quelques jours après, par un neveu qu’il avait chez lui. C’était un jeune garçon qui avait pris garde que son oncle n’observait point les lois de la synagogue, ni dans son manger, ni sur d’autres points. Cette accusation eut d’étranges suites ; car un parent d’Acosta, qui l’avait réconcilié avec les juifs, se crut engagé d’honneur à le persécuter à toute outrance (D). Les rabbins et tout leur peuple se revêtirent du même esprit, et principalement lorsqu’ils eurent su que notre Acosta avait conseillé à deux chrétiens qui étaient venus de Londres à Amsterdam de ne pas se faire juifs. On le cita au grand conseil de la synagogue, et on lui déclara qu’il serait encore une fois excommunié s’il ne faisait les satisfactions qu’on lui prescrirait. Il les trouva si dures, qu’il répondit qu’il

  1. L’an 1623.
  2. Cet ouvrage est intitulé, Examen Traditionum Philosophicarum ad legem scriptatu.