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ACONCE.

adhuc tamen videre videor nescio quid magis futurum[1].

(D) Sa conjecture était bien fondée. ] Je crois que le XVIe. siècle a produit un plus grand nombre de savans hommes, que le XVIIe ; et néanmoins, il s’en faut beaucoup que le premier de ces deux siècles ait eu autant de lumières que l’autre. Pendant que le règne de la critique et de la philologie a duré, on a vu par toute l’Europe plusieurs prodiges d’érudition. L’étude de la nouvelle philosophie et relie des langues vivantes ayant introduit un autre goût, on a cessé de voir cette vaste et cette profonde littérature ; mais en récompense, il s’est répandu dans la république des lettres un certain esprit plus fin et accompagné d’un discernement plus exquis : les gens sont aujourd’hui moins savans et plus habiles. Aconce avait donc raison de voir en éloignement un siècle qui serait un juge plus à craindre pour la logique qu’il méditait, que ne le pouvait être le siècle d’alors. Ce n’est pas moi, au reste, qui m’érige ainsi en juge de la supériorité de notre siècle : je ne fais que me conformer au sentiment des connaisseurs les plus fins, « Nous sommes dans un temps, dit l’un d’eux[2], où l’on devient sensible au sens et à la raison plus qu’à tout le reste. En quoi on peut dire, à la louange de notre siècle, que nous connaissons déjà mieux le caractère des auteurs anciens, et que nous sommes plus entrés dans leur esprit que ceux qui nous ont précédés. La différence qu’il y a entre eux et nous est qu’on se piquait bien plus d’érudition dans le siècle passé que dans celui-ci.... C’était le génie de ce temps-là, où rien n’a été plus en vogue que la grande capacité et une profonde littérature : on étudiait à fond les langues ; on s’appliquait à réformer le texte des anciens auteurs par des interprétations recherchées, à pointiller sur une équivoque, à fonder une conjecture pour bien établir une correction : enfin, on s’attachait au sens littéral d’un auteur, parce qu’on n’avait pas la force de s’élever jusqu’à l’esprit pour le bien connaître, comme on fait à présent qu’on est plus raisonnable et moins savant, et qu’on fait bien plus d’état du bon sens tout simple que d’une capacité de travers. »

(E) Odieux à quelques théologiens protestans. ] Afin qu’on ne m’accuse point d’avancer ceci en l’air et sans preuve, je citerai les paroles d’un ministre de la Haye. « Jacobus Acontius, dit-il[3], (de quo jure quod de Origene dici solet, ubi benè, nemo melius ; ubi malè, nemo pejus,) .... fuit..... vir verè doctus, sed ingenii ut acris quidem, ita et elatioris, et justo liberalioris : quin à nescio quali scepticismo et indifferentismo in ipsam Theologiam introducendo haudquaquàm alieni, quod tractatu suo de Stratagematis Satanæ testatum satis fecit, libello (Simone Goulartio judice) omnium malorum pessimo [* 1]. Voetius ei adscribit [* 2], quòd vel imperitè vel subdolè communem confessionis conceptum molitus sit, sub cujus vexillo militari possunt et ipsi Ariani. » Ce qui vient d’être rapporté de Simon Goulart ne se trouve point, que je sache, dans ses livres : je crois qu’on ne le tient que d’Uytenbogard, qui a dit dans quelqu’un de ses ouvrages que lorsqu’il étudiait à Genève, il fut censuré de la lecture d’Acontius par Simon Goulart, et averti que le livre des Stratagèmes de Satan était le plus méchant livre du monde, esse librum omnium malorum pessimum[4]. J’ai trouvé un autre passage de Voetius concernant cette matière : ce docteur y met Aconce parmi les hérétiques qui sortirent d’Italie sous le prétexte de la réformation[5] ; et il assure que si l’on avait pris garde au venin qui est caché dans quelques endroits de son livre[* 3], on l’aurait excommunié ou contraint de signer un formulaire d’orthodoxie. Judicetur quis anguis in herbâ latuerit, quòd hic vir in fundamentalibus assertionibus nunquàm τὸ ὁμοούσιον trium personarum statuerit,

  1. (*) Trigland. Hist. Eccles. pag. 232.
  2. (*) Voetius, Politic. Eccles. part. III, in Indice, et pag. 31, 398.
  3. (*) Pag. 114, 123, 341, édit. Basil. An 1610.
  1. Acontii Epist. ad Wolfium, pag. 412.
  2. Le père Rapin, dans la préface de la Comparaison de Thucydide et de Tite-Live.
  3. Saldenus, de Libris, etc., pag. 337, 338.
  4. Uytenbogard, Historia, Belgicè conscripta, cap. I, pag. 7, edit. in-4.
  5. Voetius, Disput. theol. tom. I, pag. 495.