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ACCIUS.

rem se esse confideret. Quapropter insolentiæ crimine caruit, quia ibi voluminum, non imaginum certamina exercebantur[1]. Cette dernière pensée revient à celle dont l’auteur[2] d’une satire contre l’académie française [3] se servit. J’avoue que ce n’est pas sans quelque difficulté que l’on peut étendre la vie du poëte Accius jusqu’à la grande prospérité de Jules César ; et c’est ce qui a obligé Corradus à supposer qu’il s’agit de Sextus Julius César dans ce passage de Valère Maxime. Mais pourquoi n’entendrait-on point ce Caius César, qui fut tué par les satellites de Marius, et qui, n’ayant été qu’édile, ne laissait pas d’avoir un si grand crédit, que ses disputes avec le tribun Sulpitius excitèrent la guerre civile[4] ? Il était un des premiers orateurs de son temps, et bon poëte tragique. Quoi qu’il en soit, souvenons-nous que César fut poëte de fort bonne heure Feruntur et a puero et ab adolescentulo quædam scripta, ut Laudes Herculis, tragædia Œdipus[5].

(C) La même année que Pacuvius ] Cicéron le rapporte sur le témoignage même d’Accius. Ut Accius iisdem œdilibus ait se et Pacuvium docuisse fabulam, cùm ille octoginta, ipse triginta annos natus esset[6]. Il y a dans Cicéron iisdem œdilibus ; mais quelques-uns ayant mal écrit ou mal lu cela, ont débité que ces deux poëtes publièrent leurs ouvrages dans la même maison, in iisdem œdibus, peu d’années l’un après l’autre, paucis quidem annis interpositis[7]. Ce qui est visiblement une double falsification. Corradus croit qu’Accius avait écrit cette circonstance de sa vie dans ses Annales[8] ; mais Vossius prétend que ce fut dans un ouvrage intitulé Didascalica[9] Il en donne pour raison qu’Accius traitait de la poésie et des poëtes dans cet ouvrage comme on le peut recueillir de ce que Charissius et Aulu-Gelle en ont cité. Mais cette raison n’est nullement forte : Vossius se réfute lui-même en réfutant Corradus. Celui-ci a recouru aux Annales d’Accius, parce, disait-il, qu’un poëte ne parle pas de lui-même dans une pièce de théâtre. Les prologues de Térence font voir le contraire. Comment Vossius qui s’est servi de cette raison, n’a-t-il pas vu qu’Accius pouvait fort naturellement faire réciter dans un prologue qu’une de ses pièces avait été produite sur le théâtre en même temps qu’une pièce de Pacuvius ? Joignez à ceci qu’outre les Annales et le Didascalica, Accius avait fait des livres qui n’étaient point pièces de théâtre.

(D) Médée. ] La conjecture du père Lescalopier me paraît fort vraisemblable, que les vers cités par Cicéron au IIe livre de la Nature des Dieux, appartenaient à la Médée de notre poëte [10]. Ces vers décrivent l’étonnement où l’on supposait un berger qui, n’ayant jamais vu de vaisseau, découvrit du haut d’une montagne celui qui portait les Argonautes. Le bon Pierre Crinitus, en conséquence de ce passage, se figure que Cicéron avait allégué une tragédie d’Accius, intitulée les Argonautes [11]. Quand même ce poëte aurait composé une semblable tragédie, Crinitus ne laisserait pas d’être blâmable, puisqu’il l’aurait assuré sur un très-méchant fondement. L’auteur dont je viens de rapporter la conjecture ne devait pas nous prouver par le témoignage de Crinitus que les grammairiens font mention de la Médée d’Accius : il devait citer tout droit Nonius Marcellus. Je viens de voir dans les fragmens des poëtes tragiques, recueillis par Scrivérius, que les vers touchant le vaisseau des Argonautes appartiennent à la tragédie intitulée Médee.

(E) Elle s’appelait Brutus. ] Manuce

  1. Valer. Maxim. lib. III, cap. VII.
  2. Saint-Evremond, selon quelques-uns. Voyez l’Histoire de l’académie française pag. 69, mais dans le Chevrœana, pag. 307, on attribue cette satire au comte d’Etlan. [Cette comédie est réellement de Saint-Evremond. Joly reproche à Bayle de laisser le lecteur dans le doute.]
  3. Intitulée, La Comédie des académistes. Là, Godeau ayant dit à Colletet,

    Colletet, je vous trouve un gentil violon,

    reçoit cette réponse :

    Nous sommes tous égaux, étant fils d’Apollon.

  4. Ascon Pedian. in Orat. pro M. Scauro.
  5. Sueton. in ejus Vitâ cap. LVI.
  6. Cicero in Bruto.
  7. Crinitus, de Poet. lat. cap. V ; Glandorp. Onomast. pag. 3.
  8. Corrad. in Cicer. Brut. pag. 342.
  9. Vossius, de Histor. lat. pag. 30.
  10. Voyez Lescalopier, Commentar. in Cicer. de Nat. Deorum, pag. 382.
  11. Crinit. de Poet. lat. lib. I, cap. VII.