Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
ACCIUS

imité ou admiré le latin de cet Accius (P) dans les siècles d’une meilleure latinité.

(A) Fils d’un affranchi. ] Plus je considère ces paroles de Moréri, Marcinus et Serranus, que l’ancienne Rome avait vus élevés à la dignité du consulat, furent ses proches parens, plus je trouve difficile de deviner une autre cause de ce mensonge que celle-ci. Il avait lu dans Charles Étienne, natus parentibus libertinis, Marcino et Serrano consulibus ; et, ne faisant pas assez d’attention au mot libertinis, ni à celui de parentibus, il crut devoir dire que le poëte était proche parent de ces deux consuls. Au moins devait-il changer Marcinus en Mancinus. Voici comme parle saint Jérôme : Lucius Accius tragœdiarum scriptor clarus habetur, natus, Mancino et Serrano consulibus, parentibus libertinis [1]. Le père Briet attribue à Aulu-Gelle deux ou trois choses touchant Accius, qu’il ne fallait attribuer qu’à saint Jérôme[2].

(B) Qu’il n’y a pas trop de lieu de s’y fier. ] Je parle ainsi sans avoir des raisons démonstratives contre cette chronologie : je n’ai que des embarras à montrer de part et d’autre. Cicéron avait parlé plusieurs fois avec Accius : j’en apporte la preuve dans la remarque (H). Or Cicéron était né l’an 647 de Rome ; et il n’y a guère d’apparence qu’avant l’âge de vingt ans il ait pu avoir de fréquentes conversations avec ce poëte : il faudrait donc qu’Accius eût été encore en vie l’an 667 de Rome. Il aurait donc eu alors quatre-vingt-quatre ans, selon la chronique d’Eusèbe. J’avoue qu’il n’y a rien là d’impossible ; mais il faut bien que la vraisemblance n’y soit pas, puisque Gyraldus n’a pu croire que le poëte avec lequel Cicéron avait tant de fois parlé fût le même Lucius Accius dont on cite tant de tragédies. Il croit qu’il y a eu deux poëtes nommés Accius. Joignez à cela que Corradus, qui n’admet point cette distinction, n’ose faire concourir la vingtième année de Cicéron qu’avec la soixante-dixième d’Accius : de sorte qu’à cause du passage de Cicéron il place la naissance d’Accius quarante ans plus bas que saint Jérôme ne l’a placée[3]. Mais ce n’est pas le tout : Cicéron, dans sa Iere. philippique, nous apprend que l’on avait représenté une tragédie d’Accius pendant la célébration des jeux que Brutus devait donner, et auxquels il n’assista point, à cause qu’il était sorti de Rome depuis le meurtre de Jules César. Cette pièce fut fort applaudie ; mais les applaudissemens eurent plus de relation à Brutus qu’à Accius. Ils seraient revenus de loin sur ce poëte, et par un saut de soixante ans : Nisi fortè Accio tùm plaudi, et sexagesimo post anno palmam duri putabatis, non Bruto. Si vous comptez ces soixante ans depuis la mort d’Accius[4], il faudra qu’il soit décédé l’an 650 de Rome, et par conséquent que Cicéron meure quand il raconte qu’il a souvent ouï dire certaines choses à Accius. Si vous les comptez depuis le temps que cette pièce commença de paraître sur le théâtre, vous ferez raisonner l’orateur assez faiblement ; car il supposera qu’on n’applaudit qu’aux premières représentations d’une bonne pièce de théâtre, ce qui est très-faux. Il vaut mieux néanmoins prendre ce parti que de mettre la mort d’Accius à la troisième année de Cicéron. Si donc le passage de la Iere. philippique ne prouve point qu’Accius soit mort avant l’an 667 de Rome, prolongeons la vie de ce poëte jusque-là : mais, comme nous n’avons pas lieu d’être assurés de l’exactitude de saint Jérôme [5], ne faisons pas difficulté de dire qu’Accius pouvait être encore un homme de soixante à soixante-dix ans ; et que, s’il a vécu autant que Pacuve, rien n’empêche qu’on n’entende de lui et de César ce que dit Valère Maxime : Is (poëta Accius) Julio Cæsari, amplissimo et florentissimo viro, in collegium poëtarum venienti nunquàm assurrexit, non majestatis ejus immemor, sed quòd in comparatione communium studiorum aliquantò superio-

  1. In Chron. Eusebii. ad ann. 2 olymp. 160.
  2. Brietius, de Poët. lat. pag. 5.
  3. Corrad. in Brut. Cicer. pag. 198.
  4. P. Manuce, in Philipp. I, sub finem, les compte ainsi, ayant oublié ce que Cicéron a dit de ses conversations avec Accius. Remarquez en passant que l’opinion rapportée dans les Jugemens des Savans sur les Poëtes, tom. II, pag. 15, est fausse ; savoir qu’Accius mourut l’an 618 de Rome, en l’olymp. 161.
  5. Voyez la remarque (O).