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ACARNANIE

à la comédie d’Aristophane, où un cochon est le symbole des instrumens de la volupté vénérienne. Allusum, opinor, ad porcellum, quem inducit Aristophanes in Ἀχαρνεῦσιν, symbolum eorum membrorum, quibus obscenæ voluptates peraguntur[1]. Je ne crois pas que l’on entende le mystère de la réponse de Musarium ; et pour moi, j’avoue que je n’y entends rien : c’est pourquoi je ne critiquerai pas ceux qui assurent que les habitans d’Acarnanie étaient réputés lascifs. Mais si cela est, je m’étonne un peu que les auteurs n’en fassent pas de mention. Au reste, Érasme ne se trompe point sur la signification figurée du mot χοιρίσκος. Les Latins avaient adapté cette figure. Nostræ mulieres, dit Varron [2], maximè nutrices, naturam, quâ feminæ sunt, in virginibus appellant porcum, et Græcè χοῖρον. Voyez les Origines Italiennes de M. Ménage, au mot Potta. Voici une conjecture dont je ne suis pas content, et que je n’avance qu’afin d’essayer si elle pourra fournir quelque ouverture à ceux qui auront plus de génie et plus de science que moi. Chéréas repaissait toujours d’espérances sa courtisane, c’était son seul paiement[3] : Dès que mon père sera mort, disait-il, dès que je serai en possession de mon patrimoine, vous disposerez de tous mes biens, et je vous épouserai. Musarium, leurrée par ces promesses, lui prêtait son corps et sa bourse. N’avait-elle pas raison de dire à sa mère ? Voici un galant que je ne puis ni plumer ni tondre ; mais c’est un pourceau d’Acarnanie que je nourris : le profit viendra tout à coup. C’est en effet le propre de ces animaux : on ne gagne rien à les nourrir qu’après qu’ils ont été engraissés, et qu’on a fait pour cela toutes les dépenses nécessaires ; mais enfin on se dédommage avec usure. L’Acarnanie était peut-être, comme aujourd’hui la Westphalie, un pays fécond en pourceaux. C’est de là peut-être que les traiteurs des grandes villes de la Grèce faisaient venir beaucoup de cochons pour les nourrir[4], et voilà pourquoi la courtisane se servit de l’épithète ἀκαρνάνιος.

(D) La modestie n’y paraissait pas dans les vêtemens des femmes. ] La manière dont Apollonius censure les dames athéniennes nous apprend cela. Ces vostres pompeux habillemens de pourpre, leur dit-il[5], d’incarnatin, de roses sèches et feuilles mortes, jausnes, vertes, et autres semblables, dont vous vous riolle-piollez à guise d’une prairie au mois de may, d’où est-ce que vous en avez attiré l’usage ? Car il ne se trouve point que les femmes de l’Acarnanie se soient onc ainsi attiffées. C’est ainsi que le traducteur français s’exprime. Le traducteur latin[6] avait dit : Coccineæ atque etiam pur pureæ croceæque vestes undè à vobis sumptæ ? Cùm neque Acarnanides mulieres ita exornentur. On voit manifestement qu’Apollonius n’eût point raisonné de la sorte si les femmes d’Acarnanie n’eussent eu la réputation de s’habiller d’une manière immodeste. Il semble que cela puisse favoriser les dictionnaires qui assurent que les Acarnaniens étaient diffamés comme gens lascifs ; mais, au fond, la conséquence serait tirée un peu par force. Ces auteurs-là ont besoin d’une autorité plus précise. Artus Thomas n’a rien compris dans les paroles d’Apollonius, qu’il s’est mêlé de commenter. Les Acarnaniens, dit-il [7], ont été autrefois fort adroits à la course des chariots, au rapport de Pausanias, livre 6 et dernier des Éliaques, ayant esté le temps passé tenus pour gens sages et fort grands politiques, pour avoir si bien dressé leur estat et leur république, qu’il y en a qui disent qu’Aristote a fait cent cinquante livres sur le seul argument du gouvernement et lois de cette nation : mais les livres se sont perdus avec la police ; voilà pourquoy Philostrate parle icy de leurs femmes. Ô le misérable commentaire ! le sens du texte y est pris tout de travers.

(E) Il n’est point vrai que Cicéron

  1. Idem, ibidem.
  2. Varro, de Re rusticâ, lib. II, cap. IV.
  3. Luciani Dialog. Meretric., pag. 721, 722.
  4. Ὥσπερ αἱ καπηλ οες τὰ δελϕάκιά τρέϕουσι. Veluti cauponariæ mulieres exiguos porcellos nutriunt. Athen., lib. XIV, pag. 656.
  5. Philostr. in Vitâ Apollonii, lib. IV, cap. VII. Je me sers de la version de Vigénère.
  6. Alemanus Rhinuccinus, pag. 167.
  7. Artus Thomas, sieur d’Embry, Annotat. sur la Vie d’Apollonius, liv. IV, chap. VII, pag. 800 du 1er. vol.