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ACARNANIE.

ϕράζοιντο οὔτε ἰδίᾳ· οὐδὲ γὰρ ὅλως τοὔνομα τοῦτ᾽ ἐμϕέροιτο ἐν τοῖς ἔπεσιν.[1]. Verisimile est Acarnanes hanc secutos narrationem, callidè eò perduxisse Romanos, ut ab iis obtinerent liberum patriarum legum usum : quòd se solos non interfuisse bello contra Romanorum majores gesto dicerent, ut qui neque in Ætolico censu, neque seorsim, neque omninò in versibus Homericis commemorarentur. Ils se fondèrent sur un mensonge : car Strabon fait voir[2] par le catalogue du IIe. livre de l’Iliade[3], que les Acarnaniens fournirent leur quote part pour l’expédition de Troie.

(B) Fut alléguée par le peuple romain, lorsqu’il embrassa leur parti contre l’Étolie. ] Après la mort d’Alexandre, fils de Pyrrhus, roi des Épirotes, l’Acarnanie eut tout à craindre des Étoliens, et ne se confiait pas beaucoup à la veuve de ce prince, tutrice de ses deux fils. C’est pourquoi ils implorèrent l’assistance des Romains. Elle ne leur fut pas refusée. On fit savoir aux Étoliens qu’ils eussent à laisser en repos une nation qui était la seule qui n’avait pas assisté les Grecs contre les Troyens. Acarnanes quoque, diffisi Epirotis, adversus Ætolis auxilium Romanorum implorantes, obtinuerunt à romano senatu, ut legati mitterentur, qui denuntiarent Ætolis, præsidia ab urbibus Acarnaniæ deducerent ; paterenturque esse liberos, qui soli quondàm adversùs Trojanos, auctores originis suæ, auxilia Græcis non miserint[4]. Plutarque rapporte deux faits aussi ridicules que celui-là. « Agathocles, le tyran de Syracuse... se moqua de ceux de Corfou, qui lui demandèrent pour quelle occasion il fourrageait leur île : Pour autant, dit-il, que vos ancestres jadis reçeurent Ulysse. Et semblablement, comme ceux de l’île d’Ithaque se plaignirent à lui de ce que ses soldats prenaient leurs moutons : Et vostre roi, leur dit-il, estant jadis venu en la nostre, ne prit pas seulement nos moutons, mais davantage, creva l’œil à nostre berger[5]. » Ce que je vais dire est encore plus badin : Mahumet, second de ce nom, empereur des Turcs, escrivant à nostre pape Pie second : « Je m’estonne (dit-il) comment les Italiens se bandent contre moy, attendu que nous avons nostre origine commune des Troyens : et que j’ai comme eux intérest de venger le sang d’Hector sur les Grecs, lesquels ils vont favorisant contre moi[6]. « Voyez comment des maux : chimériques, forgés par des poëtes, ont servi d’apologie à des maux réels.

(C) Ses habitans étaient fort lascifs, si l’on en croit quelques dictionnaires. ] Citons d’abord M. Lloyd : Mollitiei et lasciviæ notati leguntur (Acarnanes) ; teste Luciano in Dial. Meretricis, undè proverbium Porcellus Acarnanius in lascivos. M Hofman a transporté tout ce passage dans son dictionnaire ; et voici comment Moréri a parlé : Les Acarnaniens furent aussi accusés d’être trop lascifs et trop délicats. C’est de là qu’est venu ce vilain proverbe des anciens, Porcellus Acarnanius. Vous lirez la même chose dans les notes de Pinédo sur Étienne de Byzance [7]. J’ai consulté les Dialogues des courtisanes de Lucien, et je n’y ai point trouvé que les habitans d’Acarnanie passassent pour des voluptueux et pour des efféminés. Il est vrai que la courtisane Musarium, ayant à répondre à sa mère qui lui reprochait de ne gagner rien par les faveurs qu’elle accordait à Chéréas, et qui trouvait fort étrange qu’elle eût fait la sourde oreille à un paysan d’Acarnanie, lui répondit : Quoi donc, j’aurais quitté Chéréas pour me livrer à ce lourdaud qui sent le bouquin ? Chéréas est sans poil pour moi, comme l’on parle, et un cochon acarnanien[8]. Érasme suppose, que par cochon d’Acarnanie on entendait un favori efféminé [9], et que c’était une allusion

  1. Strabo, lib. X, pag. 318.
  2. Idem, ibidem.
  3. Homère désigne seulement leur pays, et ne le nomme pas Acarnanie.
  4. Justin., lib. XXVIII, cap. I. Voyez la Mothe le Vayer, lettre XCV, à la page 325 du tome II.
  5. Plutarchus de serâ Numinis Vindictâ. Je me sers de la version d’Amyot, pag. 832 du tome I, in-8.
  6. Montaigne, Essais, liv. II, ch. XXXVI, pag. 763.
  7. Thomas de Pinedo in Steph. Byzant. pag. 50.
  8. Λεῖός μοι, ϕασὶ, Χαιρέας καὶ χοιρίσκος ἀκαρνάνιος. Levis mihi, ut ajunt, Chœreas et Porcellus Acarnanius. Lucian. Dialog. Meretric, pag. 723, tom. II.
  9. In mollem et amabilem atque in deliciis habitum dicebatur. Erasm., chil. II, cent. III, num 69, pag. 445.