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ACAMAS.

personne, que je sache, entre les anciens, n’a dit que le promontoire Acamas emprunta son nom d’une ville qu’Acchame, Athénien, ami des Troyens, qui s’en était fui, bâtit sur ce promontoire, et à laquelle il donna son nom. Cette ville, et l’amitié de l’Athénien Acamas pour les Troyens, sont aussi chimériques l’une que l’autre. Je voudrais bien savoir où frère Étienne de Lusignan, lecteur en théologie aux frères prêcheurs de Paris, au seizième siècle, avait trouvé cette rare érudition[1].

(D) Une des tribus d’Athènes fut nommée Acamantide. ] M. Moréri appelle cette tribu acamante ; mais je ne vois point d’auteur français qui ne dise la tribu acamantide. Pour n’en faire pas à deux fois, marquons ici une autre erreur de cet écrivain[2]. Il dit qu’Homère, au IIe. livre de l’Iliade, fait mention d’un Acamas, prince thrace, qui vint au secours de Priam, et d’un Acamas, fils d’Antenor, que sa pudeur admirable fit mettre au nombre des dieux. Il est vrai qu’Homère, au livre cité, parle de ce prince thrace, et qu’il dit ailleurs qu’Ajax le tua[3]. Il est vrai encore qu’il parle d’Archilochus et d’Acamas fils d’Anténor, et qu’il les fait bien experts dans toutes sortes de combats, μάχης εὖ εἰδότε πάσης ; mais pour la déification du chaste Acamas, il n’en parle nullement. Il s’en faut peu que M. Moréri n’en soit le créateur ; car il le serait, rigoureusement parlant, si Charles Étienne ne lui avait fourni ce fonds à bâtir : Fuit et alius ejusdem nominis filius Antenoris, qui tempore belli trojani cœlebs erat, et diis similis habebatur. Comme cet auteur ne cite personne pour ce fait-là, je n’ai pu faire des recherches sur ce célibat ; et si j’osais donner carrière à la conjecture, je dirais que cœlebs a été mis pour celebris par les imprimeurs, dans quelque livre que Charles Étienne copia, sans que néanmoins je veuille nier qu’Homère n’ait observé quelquefois que tels et tels furent tués avant que d’être maris[4]. Mais posons le cas que ce Troyen fût garçon, et qu’on lui ait donné l’éloge de semblable aux dieux, en faudrait-il conclure que sa pureté fut si admirable qu’elle lui fit obtenir les honneurs divins ? Si tous ceux à qui Homère distribue l’épithète ϑεοείκελος, avaient été déifiés, que seraient devenues les épaules du pauvre Atlas[5] ?

(E) Étienne de Byzance le fait fondateur d’une ville de la grande Phrygie. ] Il la nomme Acamantium. Les géographes n’en disent quoi que ce soit. L’abréviateur de cet écrivain, ou les copistes, ont estropié de telle sorte ce passage, qu’on n’y saurait trouver le sens, si l’on n’y supplée quelque chose. Mais suppléez-y ce qu’il vous plaira, vous n’en serez pas mieux instruit de la guerre d’Acamas et des Solymes.

(F) Était Phèdre on Ariadne. ] Je vois deux savans hommes appointés contraires sur cette question. Méziriac affirme qu’Acamas était fils de Phèdre [6] ; mais toute la preuve qu’il semble en donner est que Démophoon, frère d’Acamas, était fils de Phèdre : ce qu’il prouve par la lettre que Sabinus a écrite à Phyllis sous le nom de Démophoon. M. de Valois prétend qu’Ariadne était la mère d’Acamas [7] ; et il cite pour cela le scoliaste d’Homère[8] : il ajoute que Démophoon était frère d’Acamas, selon ce scoliaste, et qu’Euripide le confirme [9]. Ni l’un ni l’autre de ces mes-

  1. Hist. de Cypre, fol. 4 et 29.
  2. On supprime ici les autres fautes qui avaient été marquées dans la première édition. [ * Bayle, dans sa première édition, reprochait encore à Moréri, 1°. d’avoir donné douze tribus à Athènes. Bayle n’en donnait que dix. Les éditeurs de Moréri sont depuis venus à cet avis de Bayle ; tandis que Bayle lui-même s’est aussi corrigé et n’a plus indiqué le nombre précis des tribus qui tantôt a été de dix, tantôt de douze ; quand on veut donc parler de leur nombre, il faut faire attention à l’époque dont il s’agit ; 2°. de citer le livre 1er de Strabon touchant Acamas, promontoire de l’île de Cypre, tandis que c’était le 14e, qu’il fallait citer ; 3°. de nommer Acamante le fils de Thésée ; 4°. de dire que Suidas fait mention d’Acamantides, philosophe d’Héliopolis, que Suidas nomme Acamantius. Ces fautes ont été corrigées dans l’édition de Moréri de 1753, et même dans quelques autres antérieures. Le Moréri de 1759 ne parle plus du promontoire de Cypre.]
  3. Homer. Iliad., lib VI, vs. 7.
  4. Homer., Iliad., lib. IV, vs. 474.
  5. Voyez Juvénal, dans sa XIIIe. satire verset 47, où il dit :

    ............contentaque sidera paucis
    Numinibus miserum urgebant Atlanta minori
    Pondere.

  6. Méziriac, sur les Epître d’Ovide, pag. 137.
  7. Henr. Valesius in Harpocrat., pag. 4 et 5.
  8. In Ὀδυσσ. Ο.
  9. In Ione.