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ABRABANEL.

tres, et les plus affectés aux maisons nobles d’Espagne, et qu’étant d’ailleurs ennemi juré de la religion chrétienne, il contribua plus qu’aucun autre à la tempête qui l’accabla avec toute sa nation[1].

(F) Par ses prières et ses lamentations. ] Il raconte lui-même dans l’un de ses livres[2] ce qu’il fit en cette rencontre. Salomon ben Virga le rapporte dans son histoire des Juifs[3], avec la description tragique des malheurs épouvantables qui accompagnèrent les trois cent mille Juifs qui furent contraints de sortir dans un même jour des états du roi catholique.

(G) Il fit avec lui le trajet de la Sicile. ] Nicolas Antonio, corrigeant, sur les conversations qu’il avait eues avec le P. Bartolocci, son article d’Abrabanel, dit que ce rabbin suivit en Sicile le roi Ferdinand, que les Français avaient renversé du trône, et qu’après la mort de ce prince il se retira à Corfou[4]. Voilà sans doute une faute ; on prend Ferdinand pour Alphonse : c’est avec Alphonse[5] qu’Abrabanel passa en Sicile, comme le P. Bartolocci le remarque[6], et non pas avec Ferdinand. Il demeura à Messine jusqu’à ce qu’Alphonse fût mort, au commencement de l’année 1495, et puis il s’en alla à Corfou [7]. C’est là que fut commencé le Commentaire sur Ésaïe, en 1495. S’il n’était passé en cette île qu’après la mort de Ferdinand, on peut tenir pour très-certain qu’il n’aurait pas pu y être en 1495. Aussi l’Appendix de Nicolas Antonio aurait eu besoin d’un autre Appendix qui le corrigeât.

(H) L’an 1508. ] Le P. Bartolocci marqua cette année à don Nicolas Antonio, qui avait déjà fait imprimer que notre rabbin était professeur en langue hébraïque à Padoue, environ l’an 1510. Nous avons ici une preuve de la négligence de M. Moréri. Il avait en main la Bibliothéque d’Espagne de cet auteur, et il ne prit point la peine de consulter les Appendix, qui en font une considérable partie, et qui éclaircissent et corrigent plusieurs endroits de l’ouvrage. Ainsi il nous a donné la faute concernant ce professorat de Padoue, sans savoir que l’auteur l’avait corrigée lui-même à la fin du livre, et s’en était excusé sur ce qu’il avait suivi Buxtorfe. Venetias indè profectus memoratur, ex quâ urbe in Germaniam aut in professionem Patavinam hebraïcæ linguæ, quod Buxtorfium et alios sequuti nos litteris in Bibliothecâ nostrâ mandavimus, potuit conferre se. Constat autem Venetiis eum septuaginta [8] annos natum superioris sæculi anno octavo diem suum obiisse. Quocum non benè convenit quòd circa annum decimum professorem, ut ibidem diximus, Patavinum egerit [9]. C’est ce que dit Nicolas Antonio. Il ne nie pas absolument cette profession de Padoue ; il se contente de dire qu’il n’en avait pas bien marqué le temps. Il ne fallait donc point que M. Moréri vous vînt dire qu’en 1510 Abrabanel enseignait la langue hébraïque à Padoue.

(I) Il laissa trois fils : Juda, Joseph et Samuel. ] Il semble d’abord qu’il en aurait laissé quatre, s’il était vrai, comme le rapporte Nicolas Antonio [10], que ce Léon, qui a fait des Dialogues de l’Amour, était son fils[* 1]. Mais il faut savoir que l’auteur de ces dialogues pourrait bien être le même que Juda, fils aîné d’Abrahanel. Ce Juda était nommé vulgairement Messer Leone[11]. Son livre de l’Amour est fort connu ; Denis Sauvage, et Pontus de Tiard, l’ont mis en français. On en cite ordinairement l’auteur

  1. * Dans sa lettre à Lacroze, du 1er. mars 1704. Bayle dit : « Il n’y a plus lieu de douter que Léon l’Hébreu ne fût le fils d’Abrabanel ; et, puisqu’il a été chrétien, il faut dire qu’il se convertit. Un de ses frères, comme je l’ai rapporté dans le texte de l’article, fit la même chose ; mais il est surprenant que ni Bartolocci, ni Nicolas Antonio n’aient point parlé de la conversion de Léon l’Hébreu. »
  1. Act Lips. Nov. 1686, pag. 530. Bartolocci Biblioth. Rabbinica, tom. III, pag. 874.
  2. Comment. in Libros Regum, init. apud Nicol. Anton Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627.
  3. Apud Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627.
  4. Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. II, pag. 689.
  5. Il était le IIe. de ce nom. Il succéda à Ferdinand le Bâtard, et eut pour successeur Ferdinand II.
  6. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 875.
  7. Idem, ibidem.
  8. Il fallait dire 71.
  9. Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. II, pag. 686.
  10. N. Anton. Bibl. Hispan., tom. I, pag. 630.
  11. Bartulocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 880.