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VIE DE M. BAYLE.

ractère de la Critique générale. On sentit bientôt cette différence. Les catholiques mêmes, malgré les préjugés de la religion, ne pouvaient s’empêcher de faire l’éloge du livre de M. Bayle, dans le temps qu’ils affectaient de mépriser celui de M. Jurieu. « C’est un beau livre, disait M. Ménage [1], que la Critique du Calvinisme du père Maimbourg, et lui-même ne pouvait s’empêcher de l’estimer. Il me l’a avoué, quoique ordinairement il affectât d’en parler comme d’un livre qu’il n’avait pas lu. À la religion près, je trouve ce qu’a dit M. Bayle fort vif et très-sensé. J’ai voulu lire ce que M. Jurieu a fait sur le même sujet ; il y a bien de la différence. Le livre de M. Bayle est le livre d’un honnête homme, et celui de M. Jurieu celui d’une vieille de prêche. C’est un méchant réchauffé de tout ce que Dumoulin et les autres ont dit de plus fade contre la religion catholique. » Le jugement si différent qu’on faisait de ces deux ouvrages déplut infiniment à M. Jurieu. Il regarda M. Bayle comme son concurrent, et ne put lui pardonner d’avoir enlevé tous les suffrages. Cet incident jeta dans son cœur des semences de haine et de jalousie [2].

Parmi les gens de lettres avec qui M. Bayle avait eu des liaisons à Sedan, on doit compter M. Fetizon, jeune ministre, natif de cette ville. Il avait quitté Sedan pour aller exercer son ministère en Champagne dans la maison de M. de Briquemau [3]. Il écrivit à M. Bayle qu’il avait composé, en forme d’entretiens, l’Apologie des réformés par rapport aux guerres civiles de France. M. Bayle souhaita de voir cet ouvrage, et M. Fetizon le lui envoya et le dédia à Philarète, c’est-à-dire à M. Bayle lui-même. M. Bayle trouva cet ouvrage digne de voir le jour, et le fit imprimer [4]. Il parut au commencement de l’année 1683, sous ce titre : Apologie pour les réformés ; où l’on voit la juste idée des guerres civiles de France, et les vrais fondemens de l’édit de Nantes. Entretiens curieux entre un protestant et un catholique. Patrice, le catholique romain, allègue tout ce qu’on a dit de plus fort et de plus odieux contre les réformés, au sujet des guerres civiles, et n’oublie pas les accusations qu’on leur a faites, d’être animés d’un esprit de faction et de révolte, et d’avoir des sentimens contraires à l’indépendance des rois. Eusèbe, le protestant, les a justifié de s’être armés pour défendre leur religion, leurs vies, et les droits de la maison de Bourbon ; et fait voir par le témoignage même de Louis XIII, qu’ils ont toujours été fidèles à leurs princes légitimes, et que bien loin

  1. Ménagiana, tom. IX, p. 22, 23, édition de Paris, 1694.
  2. Voyez M. de Beauval, Lettre sur les différens de M. de Jurieu et de M. Bayle, P. 1 et 2.
  3. La terre de M. de Briquemau, située sar la rivière d’Aisne, s’appelait Saint-Loup. M. de Briquemau étant ensuite sorti de France pour la religion, M. l’électeur de Brandebourg le fit gouverneur de Lipstadt, dans le pays de Clèves.
  4. À la Haye, chez Abraham Arondeus, in-12.