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VIE DE M. BAYLE.

apprises de votre glorieux établissement en la charge de professeur m’ont été infiniment agréables ; car, quoique je susse en gros que vous aviez fait paraître votre esprit et votre érudition d’une manière fort éclatante, et que j’en eusse déjà conçu un incroyable satisfaction, néanmoins l’ordre et le détail vous m’en avez appris a redoublé cette satisfaction ; car nous autres philosophes nous aimons la méthode plus que tout, et, sans elle, rien ne nous paraît charmant. Je dis cela, monsieur, afin de vous faire espérer que vous ne serez plus exposé à mes irrégularités, et que je ne vous accablerai plus d’un ramas confus et indigeste de pensées et de paroles, comme j’ai fait ci-devant. Mon nouveau grade m’inspire l’esprit de méthode, et vous vous en sentirez, ou personne ne s’en sentira. Mais qui aurait dit, monsieur, que, dans votre propre patrie, vous éprouveriez tant de traverses ? On ne s’est pas étonné ici que l’on ait remué ciel et terre pour m’éloigner de la profession de philosophie, car j’étais étranger, et mes antagonistes étaient enfans du lieu ; au contraire, on s’est étrangement scandalisé de ce qu’il s’est trouvé des personnes qui m’ont été favorables : mais, en vérité, il y a lieu à la surprise que tous vos compatriotes n’aient pas donné les mains sans balancer à votre promotion, qui sera si fructueuse et si glorieuse à l’académie. »

Quelque opposition que M. Bayle eût essuyée à Sedan, son mérite força bientôt tout le monde à l’estimer et à l’aimer. M. le comte de Guiscard, gouverneur de Sedan, l’invitait souvent à venir s’entretenir avec lui. M. du Rondel, qui a été ensuite professeur aux belles-lettres à Mastricht, lui donna toute son amitié, et la lui a continuée jusqu’à la mort. M. Jurieu même fut si touché des belles qualités de M. Bayle, si charmé de sa douceur, de sa modestie et de sa droiture, qu’il eut pour lui un épanchement de cœur dont il ne se croyait peut-être pas capable. Il en a fait un aveu public en 1691, dans le temps qu’il avait honteusement rompu avec lui, et qu’il travaillait à le perdre. « Cet homme, dit-il [1], nous fut indiqué pour remplir une chaire de philosophie vacante dans l’académie de Sedan où j’avais l’honneur d’être professeur en théologie, et l’un des modérateurs de l’académie. Un de ses amis nous l’indiqua comme un garçon d’esprit, très-habile et très-capable de faire fleurir les sciences qu’il serait appelé à cultiver. On ne nous trompa pas en cela. Il vint et il se fit connaître dans toutes les actions publiques de son examen. Mais son ami et lui n’ayant pas jugé à propos de me faire un mystère de sa révolte, et du long séjour qu’il avait fait entre les jésuites de Toulouse [2], cela me jeta dans le

  1. Apologie du sieur Jurieu, pag. 24, col. 1.
  2. M. Bayle n’a jamais demeuré chez les jésuites.