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VIE DE M. BAYLE.

faites bien réflexion qu’il ne se faut beaucoup promettre Le progrès que je ferai en philosophie par une étude aussi traversée et aussi accompagnée de chagrins et de mésaises que la mienne sera. »

Cette lettre surprit extrêmement M. Jurieu. Il regarda les excuses de M. Bayle comme une défaite, et avoua qu’il n’y comprenait rien. La vérité est que M. Bayle avait une raison secrète qui l’éloignait de Sedan. Il craignait que son changement de religion, dont M. Basnage avait seul le secret dans ce pays-là, ne vînt à être connu, et qu’on ne prît occasion de l’arrêt contre les relaps (D), pour lui faire des affaires, et pour maltraiter les réformés de Sedan, M. Jurieu soupçonnant donc qu’il y avait quelque autre raison que celle que prétextait M. Bayle, voulut savoir ce qui pouvait le retenir. M. Basnage ne put se dispenser de s’en ouvrir à lui ; et M. Jurieu ne crut pas que cela dût l’empêcher de venir, puisqu’étant seuls dépositaires de ce secret, il ne courait aucun risque. Ainsi M. Basnage rassura M. Bayle ; et lui ayant écrit quelque temps après que l’élection du nouveau professeur approchait, et qu’il n’y avait point de temps à perdre, il partit de Paris le 22 d’août pour se rendre à Sedan.

Aussitôt qu’il y fut arrivé [1], M. Basnage lui procura la connaissance de quelques amis qu’il avait dans le parti opposé à M. Jurieu, et particulièrement de M. du Rondel, professeur en éloquence. Ils promirent de lui rendre justice. M. Bayle sentit bientôt le besoin qu’il avait de ce secours. Il avait trois concurrens ; et on fit tout ce qu’on put pour l’éloigner, parce qu’il était étranger, et que ses concurrens étaient enfans de la ville. Mais enfin on en vint à la dispute. Les compétiteurs convinrent de faire leurs thèses sans livres, sans préparation entre deux soleils. On leur donna pour sujet le temps. Ils s’enfermèrent le 28 de septembre pour les composer ; et M. Bayle soutint publiquement les siennes le 23 et le 24 d’octobre l’après-dînée. Il disputa avec tant de force et de précision, que, malgré le crédit et les brigues de ses concurrens, le sénat académique lui adjugea la victoire. On trouve ces particularités dans les lettres qu’ils écrivit à MM. Constant et Minutoli (E).

Il fut reçu professeur le 2 de novembre ; il en prêta serment le 4, et le 11 il fit l’ouverture de ses leçons publiques.

Peu de temps après il apprit que l’Académie de Genève avait choisi M. Minutoli pour professeur en histoire et en belles-lettres : ce fut M. Minutoli lui-même qui l’en informa, sans oublier le détail de l’examen qu’il avait subi, et des oppositions qu’il avait trouvées. M. Bayle le félicita de son nouvel emploi et le remercia de toutes des particularités. « Les circonstances, dit-il [2], que vous m’avez

  1. Il arriva à Sedan le 31 d’août.
  2. Lettre du 4 d’avril 1676, p. 104.