Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
VIE DE M. BAYLE.

blique, les honneurs qu’on lui avait faits, et les applaudissemens qu’il y avait reçus. Ce bon homme écoutait cela avec plaisir, et semblait avoir oublié dans ce moment le chagrin que son fils lui avait donné par son changement de religion. Mais madame Ros de Bruguière lui ayant montré les thèses, dès qu’il vit la figure de la Vierge avec ces paroles Virgini Deiparæ, il fut saisi d’une si grande indignation, qu’il fit effort pour s’en approcher : mais on l’en empêcha, de peur qu’il ne les mît en pièces dans le transport de sa douleur. Il sortit précipitamment, versa un torrent de larmes, et protesta qu’il ne rentrerait point dans cette maison, tant qu’un objet si cruel pourrait se présenter à sa vue.

Cependant les catholiques, non contens d’avoir gagné le jeune Bayle, formèrent le dessein de gagner encore toute sa famille. On crut qu’il fallait commencer par l’aîné. M. l’évêque de Rieux chargea M. Bayle de lui écrire ; ajoutant que, s’il pouvait l’engager seulement de venir à Toulouse, sa conversion était sûre. M. Bayle, qui croyait sincèrement avoir pris le bon parti et qui aimait son frère, lui écrivit la lettre suivante [1] :

« Monsieur mon très-cher frère,

» L’affection ardente que j’ai pour votre personne et le désir dont je brûle de votre bonheur ne me permettant pas de négliger aucune occasion de procurer votre bien, je me sens obligé de vous prier très-instamment de venir passer quelques jours en cette ville, pour me donner le moyen de vous entretenir de plusieurs choses qui vous sont très-importantes, et pour la vie présente et pour celle qui est à venir. Je me persuade que si j’avais la liberté de vous bien découvrir l’état des choses comme elles sont, et la disposition favorable où elles se trouvent, je ferais quelque effet sur votre esprit, et vous ferais avouer que cette suprême sagesse qui gouverne le monde a travaillé d’une façon particulière à ajuster tant de ressorts, et que, comme elle ne fait rien qui ne puisse avancer sa gloire et notre salut, elle a voulu, par la rencontre de tant de choses différentes, qui toutes semblent vouloir concourir à votre bien, tenter le plus heureux et le plus glorieux changement qui se puisse opérer dans l’esprit de mon père et dans le vôtre.

 » Vous me direz sans doute que ce sont ici tous mystères où vous ne comprenez rien, et que ce sont des énigmes pour vous ; mais je vous réponds que pour peu que je m’entretienne avec vous sur ce chapitre, vous comprendrez facilement quel est mon dessein, et vous verrez ensuite clair comme le jour avec quel grand fondement ; vous aurai dit que la disposition qui a rangé quantité de

  1. Cette lettre est datée du 15 avril 1670. J’en ai l’original entre les mains. La suscription est : A M. Bayle fils, ministre du Carla, au Carla.

    [Cette lettre n’est ni dans les éditions de 1714 et de 1729 des Lettres, ni dans les éditions de 1727 et 1737 des Œuvres diverses.]