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VIE DE M. BAYLE.

manière bien plus odieuse. Il nie positivement des dogmes fondés sur cent passages de l’Écriture. Il le rend par conséquent menteur, ce qui suffit pour renverser le christianisme par son fondement. Enfin M. Jaquelot est souvent en contradiction avec soi-même, et souvent aussi opposé à la droite raison. Voilà donc, malgré sa réponse, tous les chrétiens dans le détroit où M. Bayle prétend les avoir poussés, M. le Clerc avec son origénisme, continue M. Naudé, avance encore moins que M. Jaquelot, puisqu’il est dans une opposition plus formelle avec l’Écriture, et que d’ailleurs il retombe dans les mêmes inconvéniens. Aussi l’un et l’autre viennent d’être écrasés par ce dernier ouvrage de M. Bayle. J’en fais juges ceux qui ont été spectateurs du combat. »

On ne sera peut-être pas fâché de savoir ce que M. Basnage pensait sur cette dispute. « Deux ouvrages, m’écrivit-il [a], viennent de paraître contre M. Bayle : l’un de M. de la Placette, l’autre de M. Jaquelot, que je n’ai pas vu. Il me semble qu’on peut mettre ces messieurs aux mains les uns avec les autres. Dès le moment qu’on est prédestinateur aux termes du synode de Dordrecht, on regarde les réponses de MM. le Clerc, Bernard et Jaquelot, comme mauvaises ; et les arminiens s’imaginent qu’on ne peut lui répondre dans le système ordinaire. On ne peut pas dire qu’on lui répond bien, quelque système qu’on prenne. Car, au contraire, chaque parti prétend que l’autre se trompe, s’égare, et ne peut soutenir le poids des difficultés de M. Bayle. Ce ne sont pas deux routes différentes qu’on prend pour parvenir au même but, ce sont des chemins opposés, dont l’un prend la droite et l’autre la gauche ; et chacun soutient que son chemin est le seul qu’on puisse prendre. Ajoutez à cela, que M. Bayle a obligé M. Jaquelot à se déclarer arminien, après avoir mangé le pain des orthodoxes dix-huit ans, avec des protestations solennelles dans nos synodes, qu’il ne l’était pas ; et M. le Clerc a été forcé de lâcher pied sur l’éternité des peines. Il a abandonné la doctrine reçue des anciens et des modernes, sans justifier la Providence, ni lever la difficulté qui reste toujours. Car, outre le mal moral, il y a assez d’autres maux physiques pour donner lieu aux plaintes et aux objections des hommes. »

(S, p. 261.) Loin d’être avide de présens, il n’acceptait qu’avec peine ceux qu’il ne pouvait honnêtement refuser. ] En voici un exemple, qui ne m’a pas paru indigne de la curiosité du public. M. le comte de Shaftsbury ayant remarqué que M. Bayle n’avait point de montre, en acheta une dans un voyage qu’il fit en Angleterre, pour la lui donner lorsqu’il serait de retour à Rotterdam. La difficulté était de la lui faire accepter. Il la tirait de sa poche quand ils étaient ensemble, comme pour voir quelle heure il était, sans que M. Bayle y fit aucune attention. Enfin, il la prit un jour entre ses mains, et, après l’avoir considérée, il ne put s’empêcher de dire que cette montre lui paraissait très-bien faite. Milord Shaftsbury saisit cette occasion pour la lui présenter. Mais M. Bayle, confus et piqué de ce que ce seigneur semblait avoir pris ce qu’il avait dit sans dessein comme un moyen indirect de lui demander sa montre, s’excusa fortement et avec beaucoup d’action. Ils contestèrent long-temps, et milord Shaftsbury ne put le faire consentir à la recevoir, qu’après l’avoir assuré qu’il l’avait apportée exprès d’Angleterre pour lui, et après avoir confirmé ce qu’il disait en lui faisant voir sa propre montre.

Quelques années après, ce seigneur me dit qu’il voulait envoyer à M. Bayle quelques livres grecs et latins imprimés en Angleterre, et me chargea de dresser une liste de ceux qui pourraient lui être le plus agréables. J’en fis confidence à M. Bayle, afin qu’il me marquât lui-même ceux qui lui conviendraient le mieux. Mais il ne voulut pas le faire. « Il n’est point nécessaire, me répondit-il [b], de donner à milord Shaftsbury aucune

  1. Lettre du 19 d’août 1707.
  2. Lettre du 3 d’avril 1705, p. 1014, 1015.