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VIE DE M. BAYLE.

qu’on la pouvait faire mourir, mais que Dieu susciterait d’autres enfans qui parleraient mieux qu’elle. Cela est arrivé d’une manière si admirable que les plus aveugles sont obligés d’y voir le doigt de Dieu. Il y a peut-être aujourd’hui dans un seul canton du Dauphiné, sans compter ceux des autres provinces, deux ou trois cents enfans qui tombent en extase, qui s’endorment et durant leur sommeil annoncent les choses merveilleuses de Dieu, prient d’une manière excellente, exhortent, menacent, promettent, chantent les psaumes de David, et prédisent même les choses futures : et quand ils sont réveillés, ils retournent à leur première simplicité. Il y a plus, c’est que dans le Vivarais l’esprit de Dieu a saisi tout un peuple, veillans et dormans, avec des signes et miracles tels que depuis de commencement du monde il ne s’est rien vu de semblable ni d’approchant. La relation vous en instruira [a]. »

(K p. 114.) Si quelqu’un doutait de ces prétendus miracles, il le mettait d’abord au rang des impies et des profanes. ] Dans la pastorale que je viens de citer il les traite de blasphémateurs qui s’opposaient à l’esprit de Dieu. « Donnez-vous garde, dit-il [b], de ce malheureux esprit du monde qui s’oppose à l’esprit de Dieu, et qui va dans cette occasion quelquefois jusqu’au blasphème. La témérité de ceux qui ont tourné en ridicule et le miracle de la bergère et celui des voix célestes qui ont été entendues par tant de témoins fidèles recevra la juste confusion qu’elle mérite. Je souhaite qu’elle soit une confusion salutaire, et que Dieu ne leur impute pas ce péché, leur fasse la grâce de voir de leurs yeux les choses qui sont présagées par ces signes avant-coureurs........ Bienheureux sont les sages qui n’imitent point ces téméraires décidans...... On ne craint point le triomphe de ceux qui, voyant approcher le temps marqué pour la délivrance, insultent à ceux qui l’espèrent. Dieu est maître des temps et des événemens : ils arrivent quand il le juge à propos. Nous pouvons nous tromper dans nos supputations ; mais il ne se trompe pas dans les siennes. » C’est ainsi qu’il parlait au mois de mars de l’année 1689, voyant que rien n’était arrivé de ce qu’il avait prédit.

(L p. 114.) Mais la suite fit voir qu’il s’était trompé, et il se persuada que la religion ne pouvait être rétablie en France que par la force des armes. ] Ses trois ans et demi qui commençaient à la révocation de l’édit de Nantes, en octobre 1685, expiraient au mois d’avril 1689 ; cependant on ne voyait aucun changement en France par rapport à la religion. Cela donnait lieu de traiter ses prédictions de chimériques, et d’insulter à la crédulité de ceux qui y avaient ajouté foi. Il se trouva donc obligé d’abandonner ce qu’il avait avancé sur la manière dont la réformation s’établirait en France. Selon ses premières vues, cette réformation devait se faire sans violence, sans effusion de sang, par autorité royale ; mais la révolution d’Angleterre, et la confédération de tant de princes contre la France, lui firent croire qu’elle y triompherait par voie de conquête [c] ; et il avoua « qu’il croyait fermement que Dieu avait fait naître le roi Guillaume pour être l’exécuteur de ses grands desseins, pour abaisser et humilier les persécuteurs de France [d]. » Il voulut mettre lui-même la main à l’œuvre. « Il imagina, après y avoir rêvé plusieurs nuits de suite, une manière de pontons, pour faire débarquer, en dépit des milices qui seraient sur les côtes de France, autant de soldats qu’on voudrait, sans beaucoup de difficulté [e]. »

(M p. 114.) Dans ses écrits il préparait les peuples à cette grande révolution. ] Dans ses Lettres pastorales il fit plusieurs réflexions sur les affaires du temps, où il étalait les merveilles de

  1. Cette relation est un écrit de 14 pages in-4o., intitulé, Lettre de Genève, contenant une relation exacte des petits prophètes du Dauphiné.
  2. Lettre du 15 de mars 1689, p. 108.
  3. Chimère démontrée, p. lvj, lvij.
  4. Lettre pastorale du 1 juillet 1689, p. 173, col. 2.
  5. Chimère démontrée, p. lvij, lix.