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VIE DE M. BAYLE.

faisait tout d’un coup apercevoir les différentes faces des sujets les plus abstraits : il en découvrait tous les principes, et en développait toutes les conséquences. Les difficultés qu’il y trouvait le rendaient très-réservé dans ses jugemens, et ne lui laissaient souvent que des raisons de douter. Cette retenue l’a fait accuser de pyrrhonisme. Mais si c’est être pyrrhonien que de douter des choses douteuses, tous les hommes ne devraient-ils pas être pyrrhoniens ?

On s’est plaint qu’il avait été un peu trop libre dans son Dictionnaire, et qu’il s’était émancipé sur le chapitre des femmes. Cependant ce ne sont guère que des citations d’auteurs très-connus, et dont on a estimé le mérite. M. Bayle, moins sensible à ces sortes de traits que ne le sont apparemment ceux qui les condamnent, n’était point choqué du style de ces écrivains. Il regardait leurs expressions, peu mesurées et peu polies, comme des expressions de la bonne nature, ou, si l’on veut, comme des libertés innocentes et de simples jeux d’esprit, parce qu’elles n’excitaient aucun déréglement dans son cœur. Ses mœurs ont toujours été si pures et si réglées, que ses ennemis les plus violens ne lui ont jamais rien reproché là-dessus. En cela, comme en toute autre chose, il ne s’est point effarouché des apparences du vice, parce qu’il aimait solidement la vertu.

On ne doit tirer aucune conséquence contre la religion de M. Bayle, de ce qu’il a rapporté dans son Dictionnaire les difficultés qu’on peut faire sur quelques dogmes importans. Les lois de la dispute demandaient qu’il alléguât fidèlement le pour et le contre. Mais il est visible qu’il n’a pas voulu détruire ces dogmes, puisque les raisons qu’il rapporte en leur faveur sont plus fortes que celles qu’il leur oppose. M. Jaquelot l’avoue lui-même dans sa Réponse aux Entretiens de Maxime et de Thémiste, qui n’est qu’un tissu d’invectives contre Bayle. « Les libertins, dit-il [1], qui liront les ouvrages de ce philosophe avec assez d’esprit peur comprendre ce qu’ils lisent, pourront aisément reconnaître qu’il a avancé des raisons sur l’existence de Dieu et sur la nature spirituelle de l’âme, incomparablement plus fortes, que celles qu’il a prêtées aux païens et à d’autres pour combattre ces importantes vérités. » Il répète la même chose dans la préface, M. Bayle, dit-il [2], raisonne avec beaucoup plus de force et plus d’évidence, lorsqu’il s’agit d’établir l’existence de Dieu, que quand il propose les difficultés qu’il a prêtées à Simonide contre cette vérité....... On doit faire le même jugement de la spiritualité de l’âme, si on lit avec application ce qu’il en a dit pour et contre, et recevoir, par conséquent, l’existence de Dieu, et la spiritualité de l’âme, les deux sources de la religion, comme des

  1. Réponse aux Entretiens de M. Bayle, etc., p. 256, 257.
  2. Ibid., préf., fol. 5.