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VIE DE M. BAYLE.

édition un grand nombre de lettres que M. Bayle avait écrites à sa famille, c’est-à-dire à son père, à ses frères et à quelques-uns de ses parens. Ces lettres familières représentent M. Bayle dans son naturel : on y voit un fidèle portrait de son cœur et de son esprit. Rien n’est plus tendre ni plus judicieux que les conseils qu’il donne à son frère cadet, tant par rapport à la manière dont il doit régler ses études, que sur la conduite qu’il doit tenir dans le monde, etc. Du reste cette édition est très-incorrecte : il y a un grand nombre de fautes dans les dates et dans les noms propres, et, ce qui est encore plus essentiel, on a supprimé ou tronqué tout ce qui ressentait le protestantisme. Dans la réimpression de ces lettres, faites à la Haye en 1739, en deux tomes in-12, on a copié tous les défauts de l’édition de Trévoux[* 1].

M. Bayle avait une imagination vive, brillante et féconde ; un grand fonds de discernement et de pénétration ; un style naturel et hardi, mais peu châtié. Sa conversation était vive, enjouée, et d’autant plus agréable, qu’elle était toujours utile. Sa mémoire, heureuse et fidèle, lui rendait à propos tout ce qu’il lui avait confié. Il disputait sans chaleur, et sans prendre un ton dogmatique : et on voit dans ses écrits qu’il était si éloigné d’offenser, qu’il a au contraire trop penché du côté des louanges. Fidèle et constant dans son amitié, personne ne fut jamais plus officieux ni plus désintéressé que lui. Loin d’être avide de présens, il n’acceptait qu’avec peine ceux qu’il ne pouvait honnêtement refuser (S). Plein d’amour pour la vérité, il était très-sensible aux secours qu’on lui fournissait pour la découvrir, et faisait usage de ces secours avec une extrême reconnaissance. Il haïssait toute sorte de supercheries et de mauvais détours.

Véritablement philosophe dans ses mœurs, sans faste, sans ambition, il ne se préférait à personne. Il était sobre jusqu’à la frugalité. Indifférent pour tout autre plaisir que pour ceux de l’esprit, il semblait ne connaître les passions que pour en discourir, et non pour en sentir les effets. Modeste jusqu’au scrupule, il aurait toujours caché son nom, s’il lui eût été possible de le faire : il n’a pas tenu à lui que le public ne vît jamais son portrait (T). Jaloux jusqu’à l’excès, et peut-être jusqu’à la faiblesse, de la gloire de sa nation, il souffrait impatiemment qu’elle fût attaquée, et méprisait dans le fond du cœur ceux qui n’en jugeaient pas comme lui.

La fécondité de son imagination, et la vaste étendue de ses lumières, le jetaient souvent dans des digressions, qu’il avait cependant l’art de ramener comme utiles, et même comme nécessaires aux conséquences qu’il voulait tirer. Sa pénétration lui

  1. * Dans l’édition de 1737, la Haye (Trévoux), les Lettres de Bayle à sa famille ajoutées sont au nombre de 150 ; mais au lieu être placées chacune à sa date, elles forment un cahier de 112 pages in-folio. En les réimprimant en 1739, 2 vol. in-12, l’éditeur, protestant, a changé dans la préface quelques mots qui sentaient le catholicisme, religion de l’éditeur de Trévoux.