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VIE DE M. BAYLE.

mande d’elles, c’est qu’il leur plaise de prononcer sur cette question : Les propositions extraites des livres de M. Bayle sont-elles de bonnes preuves des accusations que M. le Clerc lui a intentées ? M. le Clerc le prétend, et M. Bayle le nie, et soutient de plus qu’elles n’ont rien d’opposé aux confessions des églises réformées de France et du Pays-Bas. Mais comme M. le Clerc, ajoute-t-il, déclare qu’avant que d’avoir examiné le second et le troisième volume de la Réponse au Provincial, il considérait comme un jeu d’esprit les objections de M. Bayle, et qu’elles n’empêchaient point qu’il ne le crût orthodoxe, M. Bayle croit que pour abréger la peine des professeurs, il suffira que les facultés de théologie prennent la peine d’examiner ces deux tomes-là. On pourra même, continue-t-il, leur épargner la principale partie de cette peine, si M. le Clerc marque les pages de toutes les propositions qu’il aura extraites, et si M. Bayle marque les pages que son délateur aura omises et dont la connaissance sera nécessaire aux juges pour s’instruire mieux de l’état de la question.

Les ennemis de M. Bayle ne se contentèrent pas de le représenter comme un homme qui travaillait à détruire la religion, ils tâchèrent de le faire passer pour criminel d’état. C’était assez bien imiter M. Jurieu. Cependant, comme les sentimens de M. Bayle étaient trop bien connus en Hollande pour qu’une pareille accusation pût faire quelque effet sur des personnes raisonnables, ses ennemis crurent qu’ils devaient travailler à le détruire en Angleterre, où ils espéraient de trouver plus de facilité. On n’oublia rien pour prévenir le comte de Shaftsbury. Mais on se trompa dans les efforts qu’on fit auprès de ce seigneur : il connaissait trop bien M. Bayle, avec qui il avait eu de grandes liaisons pendant le séjour qu’il avait fait à Rotterdam. Il pénétra les motifs de cette accusation, et s’en divertit avec ses amis. On écrivit aussi au comte de Sunderland : on l’assura que M. Bayle avait eu des conférences avec le marquis d’Allègre, prisonnier de guerre, lorsqu’il passa en Hollande pour aller en Angleterre. On ajouta que M. Bayle semait partout des principes favorables à la monarchie et au pouvoir absolu ; qu’il élevait perpétuellement la grandeur de la France et rabaissait le pouvoir des alliés, les grandes actions de leurs généraux, etc. Milord Sunderland, ardent et impétueux, qui avait autant d’aversion pour les maximes qu’on attribuait à M. Bayle qu’il avait de passion pour l’abaissement de la France et pour la gloire du général anglais [1], ne parlait de M. Bayle qu’avec des transports d’indignation et de colère. Je tâchai de le ramener, mais inutilement ; sa prévention était trop forte. J’avoue que j’en fus alarmé. Je craignais qu’il ne portât la cour à se plaindre aux États de Hollande qui, vu les circonstances du temps, ne pouvaient rien refuser à l’Angleterre, et que sur de si puissantes représentations

  1. Il avait épousé la fille du duc de Marlborough.