Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
VIE DE M. BAYLE.

d’abandonner ceux qui auront abusé obstinément de ses grâces aux remords de leur conscience, qui leur reprochera leurs fautes et qui les inquiétera encore par la perte qu’ils auront faite du bonheur, dont ils sauront que d’autres jouissent. Ce pourrait être là le ver qui ne meurt point et le feu qui ne s’éteint point. Il me semble qu’il n’y a rien là que de très-juste. Les pécheurs ont pu éviter ces peines en se repentant, et ils ne l’ont pas fait. Ils sont dignes de quel que supplice à cause de cela. » M. le Clerc ne détermine rien sur la durée ni sur les circonstances de ces supplices ; il dit néanmoins qu’il y a apparence que la condition des personnes condamnées sera supportable. Mais il ne prétend pas donner toutes ces conjectures comme une doctrine évangélique et assurée ; il veut seulement faire voir qu’on peut trouver un sens très-raisonnable dans les paroles de Jésus-Christ touchant les peines de l’autre vie. Il ajoute que d’autres conjectureront peut-être plus heureusement que lui ; cependant il est persuadé que la conduite qu’il attribue à Dieu n’a rien qui soit incompatible avec sa bonté infinie ; mais que s’il y a quelque chose dans ce qu’il a dit qui soit indigne de la bonté et de la justice de Dieu, il est très-assuré que Dieu ne le fera point. C’est là, continue-t-il, ce que j’appelais raisonner infiniment mieux qu’Origène, parce qu’Origène assure ce qu’il ne sait point comme s’il le savait, lorsqu’il dit que les peines des damnés ne seront point éternelles. Il regarde pourtant l’opinion d’Origène comme tolérable et infiniment meilleure, dit-il, que le parti que prend M. Bayle, en s’en éloignant, d’accuser Dieu de n’être ni bon ni saint.

Il s’attache ensuite à faire voir que la raison ne saurait tromper, si on en fait un bon usage ; qu’elle nous sert à prouver la vérité de la religion chrétienne, et à entendre le sens de l’Écriture sainte : qu’il y a dans la théologie aussi-bien que dans la philosophie plusieurs choses que la raison ne peut comprendre, mais ces choses-là ne sont jamais opposées à la raison, et il ne faut pas les rejeter parce qu’on ne les comprend point : qu’ainsi il ne faut jamais opposer les lumières de la révélation à celles de la raison, ni supposer qu’elles peuvent se contredire, à moins qu’on ne rejette l’une ou l’autre, et qu’on ne se précipite dans le pyrrhonisme, puisque la vérité ne peut être contraire à elle-même : d’où il conclut que M. Bayle, qui soutient qu’il faut renoncer aux notions communes de la bonté et de la sainteté, ne saurait, s’il raisonne conséquemment, croire que Dieu soit bon et saint ; et qu’il ne sacrifie point la raison à la foi, mais ruine la raison par elle-même, et enveloppe la révélation dans le même sort, pendant qu’il tâche de se couvrir en faisant semblant d’humilier sa raison, pour parler comme le commun des théologiens, dont il se moque.

M. Bayle opposa à M. le Clerc un écrit intitulé, Réponse pour M. Bayle au sujet du IIIe. et