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VIE DE M. BAYLE.

son devoir, et que c’est une grande marque de sa bonté, qu’il lui ait donné le moyen d’être heureux, en gardant les règles qu’il lui a prescrites, sans être engagé par aucune nécessité à les violer ;

II. Qu’on exagère le mal que la liberté a fait aux hommes, et qu’ils auraient évité si celui qui les a faits les avait créés d’une nature à ne pouvoir pas s’éloigner de leur devoir ;

III. Que pour prévenir le mauvais usage que l’homme pourrait faire de sa liberté, et pour le conduire au bonheur, la bonté divine avait bien voulu lui faire proposer des récompenses éternelles, et des peines illimitées dans l’Évangile : il ne tient qu’à lui d’éviter ces peines et d’obtenir les récompenses.

IV. Dieu savait bien ce qui arriverait, mais il n’a pas été obligé de prévenir par sa toute puissance le mal qu’il prévoyait devoir arriver par la faute de l’homme, parce que ce mal n’est que d’une très-courte durée en lui-même, et dans toutes ses suites, et ne fait aucun désordre dans l’univers que Dieu ne puisse redresser en un moment, et qu’il ne redresse enfin pour toute l’éternité.

V. L’inconvénient de passer par le mal avant que de ressentir tous les effets de la bonté divine émane de la nature de l’homme, qui ne pouvait se trouver dans le degré d’imperfection où elle est, sans être sujette à ce qui est arrivé.

VI. Dieu, qui a prévu que l’homme tomberait, ne le damne pas parce qu’il tombe, mais seulement parce que, pouvant se relever, il ne se relève pas, c’est-à-dire qu’il conserve librement ses mauvaises habitudes jusqu’à la fin de la vie.

VII. C’est là un degré de miséricorde qui est déjà très-considérable, puisque personne n’est damné que par sa propre faute, et qu’on peut profiter de cette bonté de Dieu pour se relever de ses fautes et éviter les peines de l’autre vie.

VIII. Dieu a donné plusieurs autres marques de sa bonté aux hommes. Il les a doués de mille excellentes qualités ; il les a environnés de mille biens sensibles, qu’ils goûtent avec beaucoup de plaisir et qui leur font aimer la vie ; il leur a donné le pouvoir de se rendre heureux après la mort ; il donne sans délai le bonheur éternel à ceux qui se sont repentis de leurs fautes, et se contente de faire passer les impénitens par des peines modérées, avant que de les mettre en possession de ce même bonheur.

IX. Dieu a considéré comme un rien les maux de l’homme, en comparaison du bonheur qu’il lui avait destiné. La durée des maux qu’il souffre ici-bas et dans l’autre monde n’est rien si on la compare à l’éternité. Si le manichéen dit que, selon ce principe, un certain nombre de siècles, quelque grand qu’on le suppose, ne pouvant avoir aucune proportion avec la durée infinie des tourmens de plusieurs millions d’années, pourraient être aussi compatibles avec les idées de la bonté, et ne seraient pas moins un bien que ceux qui ne dureraient qu’un jour, l’origé-