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VIE DE M. BAYLE.

sur l’origine du mal [1] : M. Bayle examina ses principes ; mais comme il n’avait pas ce livre, et qu’il eût été difficile de le trouver en Hollande, il se borna à faire des observations générales, sur les longs extraits que M. Bernard en avait donnés, dans ses Nouvelles de la république des lettres [2]. M. King avait composé cet ouvrage pour lever les difficultés que les manichéens font dans le Dictionnaire de M. Bayle au sujet du mal physique et du mal moral. L’expérience nous apprend que l’homme n’est pas seulement exposé aux maladies, aux douleurs, aux chagrins et à diverses autres sortes de misères, mais encore qu’il est sujet à commettre une infinité de crimes. Il s’agit de concilier ces faits avec les notions communes de la souveraine bonté et de la souveraine sagesse de l’Être infiniment parfait. M. King avait un grand fonds de discernement et de justesse d’esprit. Sa pénétration lui fit comprendre toute l’étendue et toutes les conséquences de la difficulté ; il employa de nouveaux principes pour la résoudre. Il posa que la fin que Dieu s’était proposée dans la création de l’univers a été non pas de se procurer de la gloire, comme le disent la plupart des théologiens, mais d’exercer sa puissance et de communiquer sa bonté ; qu’il n’est pas vrai que la terre n’ait été faite que pour l’homme, et que c’est l’ignorance ou l’orgueil humain qui ont inspiré cette pensée chimérique : que la somme du bonheur qu’il y a dans le monde est au-dessus de celle du malheur qui s’y trouve ; qu’on en a une preuve évidente dans l’horreur que les hommes ont pour la mort, et dans la passion violente qu’ils ont pour la vie, lors même qu’ils sont accablés des maux dont ils se plaignent le plus amèrement ; que l’homme ayant été tiré de la matière, il est nécessairement sujet aux maladies, à la tristesse, etc. ; mais que les passions sont utiles et nécessaires pour la conservation du corps, puisqu’elles l’avertissent de ce qui pourrait le détruire ; que les maux sont tellement liés avec le bien, qu’ils en sont inséparables ; que ce sont des inconvéniens qui suivent nécessairement des lois de la nature ; que le mal physique a été aussi nécessaire à l’universalité des êtres que l’égalité des diamètres est nécessaire à un cercle, et que ces maux nécessaires n’intéressent point la bonté de Dieu.

Mais la grande difficulté regarde le mal moral, c’est-à-dire les mauvais choix de l’homme, les mauvaises déterminations de sa volonté, et, en un mot, tout ce qu’on appelle des vices. Pour la résoudre, M. King a recours au dénoûment ordinaire, qui est le franc arbitre ; mais il en donne une idée bien différente de celle des autres théologiens. Il le fait consister dans le pouvoir de choisir, indépendamment des autres facultés de l’agent libre et de la qualité des objets ; de sorte que ce pouvoir n’est pas déterminé par la bonté des objets, mais les objets sont rendus bons

  1. De Origine Mali ; authore Gulielmo King, S. T. D. episcopo Derensi, Dublinii, DDCCII, in-8o. Il fut réimprimé à Londres la même année,
  2. Mois de mai et de juin 1703.