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VIE DE M. BAYLE.

que nous les poussions ou que nous les dirigions tout comme si elles étaient de pures machines, « [1] Un chien, mis dans une espèce de tambour, n’ignore pas qu’il doit marcher et qu’il sera battu s’il se repose : n’est-il pas menacé ou même frappé toutes les fois qu’il interrompt son action ? Il ne manque donc pas de certaines connaissances qui lui servent de guide ; il voit les objets qui l’entourent, il craint, et il agit par cette crainte ou par quelque autre passion sur sa faculté locomotive ; et, dans la situation où il est, il ne peut se remuer sans que le tambour tourne sur son centre et fasse tourner la broche. Il n’est donc pas nécessaire de le pousser ou de lui faire remuer les jambes, il suffit d’exciter en lui un sentiment ou une passion qui les fasse remuer. Observons, continua M. Bayle, que le mouvement qu’il se donne est continuellement sous la direction d’une autre cause. Ce n’est pas un mouvement qui le fasse aller de lieu en lieu. Le chien demeure toujours dans la même place, quoiqu’il ne cesse de se remuer. D’où vient cela ? C’est que son mouvement est déterminé sans aucune interruption par la disposition du tambour à être tout tel qu’il est. Voilà donc un exemple qui prouve qu’en tout ce où la connaissance des bêtes ne leur sert point de guide, il faut ou les pousser ou les diriger, si nous voulons les faire servir à quelque chose. Tous les muletiers, tous les cochers confirmeront ceci. Un cocher se peut tenir en repos quand ses chevaux savent le chemin, ou se contenter de prendre garde s’ils s’éloignent de leur devoir ; mais, dès qu’ils ignorent qu’il faut changer de route, il est obligé d’agir pour leur donner la direction nécessaire. » M. Bayle ajouta qu’à l’égard des preuves directes que l’on avait rapportées de l’existence des natures plastiques, il ne les croyait point assez bonnes pour qu’il fallût ou embrasser ce sentiment ou être pyrrhonien ; mais qu’il ne voulait point entrer dans cette recherche.

La fin de la dernière réplique de M. le Clerc donna lieu à M. Bayle de dire [2] que M. le Clerc « n’avait pas assez réfléchi sur une chose qui est très-facile à connaître ; c’est que le même zèle qui engage un homme à soutenir qu’une certaine raison a beaucoup de solidité pour l’existence de Dieu peut engager un autre homme à soutenir qu’elle est faible et dangereuse. Ces deux hommes peuvent tendre au même but : ils ne différent que dans la manière de juger de la qualité d’un argument. Ils doivent donc l’un et l’autre, dit M. Bayle, s’abstenir de toute expression soupçonneuse ; s’en abstenir, dis-je, non pas en disant qu’ils s’en veulent abstenir, car cela ne laisse pas de porter coup, mais par un parfait silence. L’équité se doit présenter d’abord à leur esprit, et les empêcher de

  1. Ibid., ch. CLXXXI, p. 1279, 1280.
  2. Ibid., ch. CLXXXII, p. 1286, 1287.