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VIE DE M. BAYLE.

de résoudre. Il va même plus loin : il établit en général que la raison humaine est plus capable de réfuter et de détruire, que de prouver et de bâtir ; qu’il n’y a point de matière théologique ou philosophique sur quoi elle ne forme de très-grandes difficultés, de manière que, si on voulait la suivre avec un esprit de dispute aussi loin qu’elle peut aller, on se trouverait souvent réduit à de fâcheux embarras ; qu’il y a des doctrines certainement véritables qu’elle combat par des objections insolubles ; qu’il faut alors n’avoir point l’égard à ces objections, mais reconnaître les bornes étroites de l’esprit humain et l’obliger elle-même à se captiver sous l’obéissance de la foi, et qu’en cela la raison ne se dément point, puisqu’elle agit conformément à des principes très-raisonnables.

Il donne en même temps plusieurs exemples des difficultés que la raison trouve dans la discussion des sujets les plus importans, et le plus souvent il le fait en simple rapporteur. Il tâchait d’inspirer la même retenue à l’égard des matières historiques. Il faisait voir que plusieurs faits qu’on n’avait jamais révoqués en doute étaient très incertains, ou même évidemment faux ; d’où il était facile de conclure qu’il ne faut pas croire légèrement les historiens, mais plutôt s’en défier et suspendre son jugement jusqu’à ce qu’un examen rigoureux nous ait assurés de la vérité de leurs récits.

Le public fut agréablement surpris de trouver que cet ouvrage surpassait l’idée avantageuse qu’on s’en était faite. Les libraires de Paris, voyant qu’on le demandait avec beaucoup d’empressement, formèrent le dessein de le réimprimer, et demandèrent un privilége à M. Boucherat, chancelier de France, M. Boucherat chargea M. l’abbé Renaudot, auteur de la Gazette, de l’examiner pour voir s’il n’y avait rien contre l’état, ou contre la religion catholique. Cet abbé, au lieu de s’attacher à ces deux points, dressa un mémoire critique où il dit que cet ouvrage était plein de digressions, qu’on n’y trouvait aucun système de religion, que M. Bayle n’y citait les pères que pour les tourner en ridicule, qu’il établissait partout le pélagianisme et le pyrrhonisme, qu’il avait placé en différens endroits tout ce qui s’était dit ou écrit de plus mauvais depuis cinquante ans contre la religion catholique, qu’il faisait partout des éloges des ministres calvinistes pleins de faussetés, et qu’il trouvait aussi partout de quoi rendre le règne de Louis XIV odieux à l’occasion de la révocation des édits et des plaintes des réfugiés ; qu’il y régnait partout une affectation visible de ramasser tout ce qu’il y avait d’odieux et d’infamant sur la personne de nos derniers rois, et qu’il avait recueilli de propos délibéré plusieurs histoires fabuleuses pour rendre suspecte la conversion de Henri IV ; que dans l’article de François Ier., il y avait une digression très-injurieuse contre le roi d’Angleterre, pour donner lieu à établir la possibilité de