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VIE DE M. BAYLE.

la personne du pécheur. » M. Bayle marqua ensuite les fausses interprétations que ce ministre avait données à l’Écriture pour l’amener à son sens ; les conséquences pernicieuses que cette doctrine pouvait avoir ; et la nécessité où se trouvaient les conducteurs des églises wallonnes de flétrir cette mauvaise morale, qui ne tendait qu’à jeter la Hollande dans la confusion, et y faire cesser le commerce « car que serait-ce, dit-il [1], si les réformés ne voulaient ni saluer ceux qui sont d’une autre religion, ni manger, ni négocier avec eux ? que serait-ce s’il leur était permis et louable de haïr la personne de tous les papistes, de tous les arminiens, mennonites, etc. ; et s’ils n’étaient obligés par l’Évangile qu’à leur souhaiter les biens spirituels, sans être obligés de leur procurer aucun bien temporel, de les tirer d’un fossé si on les y voyait plongés, de leur donner l’aumône si on les voyait dans l’indigence ? Ce pays pourrait-il prospérer selon de telles maximes ? Ne sont-elles donc pas séditieuses et tendantes à bouleverser le gouvernement, non moins qu’hérétiques ? Celui qui les prêche ignore-t-il que c’est censurer avec une hardiesse étonnante. le souverain et les lois du gouvernement sous lequel nous vivons ? ».

M. Bayle se pressa trop de publier cette dénonciation ; il en fut blâmé. M. Jurieu faisait actuellement imprimer ces deux sermons, et ils étaient prêts à paraître. Si on en eût attendu la publication, ils auraient fourni des preuves visibles de sa pernicieuse morale : aussi dès qu’il vit la dénonciation, il les supprima et publia une feuille volante sous le titre de Réflexions sur un libelle en feuille volante, intitulé : Nouvelle hérésie dans la morale, touchant la haine du prochain, prêchée par M. Jurieu, et dénoncée à toutes les églises réformées, etc. [2] où il nia qu’il eût prêché la doctrine qu’on avait dénoncée. M. de Bauval prit de là occasion de mettre la morale de M. Jurieu dans tout son jour, et de faire voir que la conduite de ce ministre était conforme à sa morale. Cet écrit est intitulé : Considérations sur deux sermons de M. Jurieu, touchant l’amour du prochain, où l’on traite incidemment cette question curieuse : s’il faut haïr M. Jurieu. M. de Bauval montra fort bien que M. Jurieu, en supprimant ses sermons, donnait une preuve qu’il avait prêché ce dont on lui faisait un crime, « Si la morale des sermons de M. Jurieu, dit-il [3], n’a rien de scandaleux, il est assez surprenant qu’il en ait suspendu l’impression. Il pouvait s’en tenir aux négations de son libelle sans s’engager plus avant ; mais l’on sait qu’ils ont été sous la presse. Les feuilles ont été montrées, et tout d’un coup il a changé de résolution : la raison

  1. Nouvelle hérésie dans la morale, etc. p. 4.
  2. C’est un écrit d’environ 8 pages in-8°., menu caractère.
  3. Considérations sur deux sermons de M. Jurieu, etc., p. 2 et suiv.