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VIE DE M. BAYLE.

en jeu. Ce sont d’ailleurs quelques ministres hollandais qui ont fait les poursuites contre moi clandestinement. Ces ministres m’en voulaient de longue main, parce qu’ils haïssent les amis et les patrons que j’ai eus d’abord en cette ville ; et qu’entêtés d’Aristote, qu’ils n’entendent pas, ils ne peuvent ouïr parler de Descartes sans frémir de colère. »

M. Bayle ignorait la véritable cause de sa disgrâce : ses juges ne trouvèrent pas à propos de l’en informer. Il ne soupçonna jamais qu’elle pût venir de certaines circonstances relatives à la situation des affaires publiques ; cependant c’est ce qui y donna lieu. La France, victorieuse de tous côtés, commençait à se lasser de la guerre. Les efforts qu’elle avait faits pour se rendre supérieure à ses ennemis l’avaient épuisée d’hommes et d’argent. La paix lui aurait été avantageuse, et elle fit toutes les démarches possibles pour l’obtenir. Elle avait fait proposer en 1692 à l’empereur, au roi d’Espagne, et au duc de Savoie par le pape et par quelques princes neutres ; mais on n’avait point écouté ses propositions. Se voyant rebutée de ce côté-là, elle voulut sonder les Provinces-Unies, et se servit de M. Amelot, son ambassadeur en Suisse, pour faire connaître ses intentions à quelques personnes qui étaient en crédit. Elle promettait aux états une forte barrière pour couvrir leur pays, une pleine et entière liberté pour le commerce, et tous les autres avantages qu’ils pourraient désirer. M. Halewyn, bourgmestre de Dort, séduit par de si grandes promesses, entra dans une espèce de négociation avec M. Amelot à l’insu de l’état. Le roi Guillaume en fut informé, et on arrêta M. Halewyn avec son frère qu’en regardait comme son complice. M. Bayle en parle dans une de ses lettres à M. Minutoli. « On n’a su au vrai, dit-il [1], ce que c’était que l’affaire de ces messieurs, que par la sentence des juges ; car pendant l’instruction du procès, le secret a été grand. On a trouvé que M. Halewyn, conseiller, n’a été mêlé en rien ; mais son frère, bourgmestre de Dort, a été trouvé coupable d’avoir eu commerce avec M. Amelot, ambassadeur de France en Suisse, pour négocier la paix en ce pays-ci. Il a avoué cela et prétendu que c’était le devoir de tout bon patriote de travailler à la cessation d’une guerre si ruineuse ; qu’il n’était point de seul qui eût écouté les propositions de la France ; et qu’il avait fait part de tout ce qu’il en savait à celui à qui d’autres avaient fait ces propositions. Quoi qu’il en soit, il a été condamné à une prison perpétuelle, et à la confiscation de ses biens. On n’a pas imprimé dans la sentence toutes les réponses et justifications qui avaient été insérées dans la minute de la sen-

  1. Lettre du 14 de septembre 1693, pag. 521, 522.