Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
VIE DE M. BAYLE.

reconnaître son style. Mais c’est justement ce qui aurait dû faire juger qu’il n’en était pas l’auteur ; car, outre que les preuves tirées de la conformité du style sont incertaines, c’est que le style de cet écrit paraît fort différent de celui des autres ouvrages de M. Bayle : il est plus pur, plus coulant, plus régulier. M. de Larrey, qui avait bien examiné l’Avis aux réfugiés, et qui était très-porté à le donner à M. Bayle, n’a pas osé prononcer. Pour moi, dit-il [1], je ne me sens ni assez persuadé pour entreprendre de persuader les autres, ni assez hardi pour décider sur un fait problématique.

Enfin, on donne cet écrit à M. Bayle sur le témoignage du sieur Moetjens, qui l’a imprimé. On assure que ce libraire a dit à plusieurs personnes que M. Bayle en était l’auteur. Pour moi, ayant appris que M. Louis, qui en a corrigé les épreuves, confirmait le rapport du sieur Moetjens, je l’ai prié de me donner là-dessus quelques éclaircissemens. Il n’a pas trouvé à propos de me répondre ; mais il a dit de bouche à une personne [2] qui ne se distingue pas moins par son mérite que par ses ouvrages, et qui avait eu la bonté de lui rendre ma lettre, « qu’il connaissait l’écriture de M. Bayle avant que de corriger cet ouvrage, et que depuis ce temps-là il a eu diverses occasions de la connaître parfaitement : que tout le manuscrit d’un bout à l’autre était écrit de la main de M. Bayle, et qu’il en conservait un morceau qu’il avait coupé d’une des feuilles avant que de la rendre au sieur Moetjens. » Voilà ce que j’ai pu apprendre de plus positif sur ce sujet. Quand même on ne douterait point après cela que M. Bayle ne fût l’auteur de cet ouvrage, on ne saurait néanmoins, sans injustice, l’accuser de tous les desseins pernicieux, de toutes les vues criminelles que M. Jurieu lui attribuait. Les circonstances où M. Jurieu fit revivre cet écrit aggravèrent ses accusations. La persécution avait forcé les réfugiés d’abandonner tous leurs biens, de renoncer à toutes les douceurs de leur patrie, pour se retirer dans les pays étrangers : leur plaie saignait encore. Dans cet état, on souffre impatiemment la censure, et on s’irrite contre la raillerie. On prend tout en mauvaise part ; on n’entre point dans l’intention de celui qui parle, et on se fait des applications mal fondées. Cependant c’est cette même intention qui doit être la règle de nos jugemens. C’est par là qu’on distingue une raillerie innocente d’un reproche amer ; une réprimande salutaire d’une violente invective. Or il n’est pas possible de concevoir que M. Bayle ait voulu flétrir tout le corps des réfugiés, qu’il ait pris à tâche de les rendre odieux aux princes, et de mettre un obstacle invincible à leur retour. Il aurait démenti son caractère, sa conduite, et tous ses autres ouvrages où il a si bien défendu les réformés, et a été si sensible à leurs maux. D’ailleurs, les plus fortes censures

  1. Dans la préface de sa Réponse à l’Avis aux réfugiés.
  2. M. de la Chapelle, pasteur de l’église wallonne de la Haye.