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VIE DE M. BAYLE.

le président Bouhier, où il confirme ce qu’on vient de lire par le récit de plusieurs particularités qu’il tient de M. de Larroque lui-même. « Oui, monsieur, dit-il à son illustre ami [1], il est certain que l’Avis aux réfugiés, qui parut en 1690, et qui servit long-temps de prétexte à l’horrible guerre de Jurieu contre Bayle, est de feu M. de Larroque, intime ami de notre cher abbé Fraguier, chez qui je le voyais presque tous les soirs. Je lui ai cent fois entendu conter que ne pouvant approuver la conduite des réfugiés, qui ne cessaient alors d’invectiver contre le roi et contre la France, avec une aigreur capable de nuire à leur retour, il composa cet ouvrage dans le dessein de leur ouvrir les yeux, et avant que d’être tout-à-fait déterminé à se faire catholique ; qu’ayant été appelé à la cour d’Hanovre, où il fut retenu neuf mois, pendant ce temps-là M. Bayle, dépositaire de son manuscrit, le fit imprimer de son aveu, mais avec parole de ne point nommer l’auteur ; qu’à son retour d’Hanovre il vint ici faire son abjuration ; que, peu de jours après, s’entretenant avec le père Verjus, jésuite célèbre, il apprit de lui que M. l’archevêque de Paris et le père de la Chaise étaient indignés de l’Avis aux réfugiés, dont l’auteur, si ce n’était pas un protestant déguisé, leur paraissait un fort mauvais catholique, puisqu’il traitait de persécuteurs, ou peu s’en faut, les ministres du roi.

» Pour sentir combien ce discours dut faire d’impression sur M. de Larroque, il faudrait l’avoir connu. Jamais homme ne fut en même temps et plus fier et plus timide. Risquer un éclaircissement avec ces deux puissances, cela exigeait des démarches que sa fierté ne lui conseillait pas ; et c’était aussi s’exposer à des suites que sa timidité lui faisait appréhender. Il prit donc le parti de se tenir clos et couvert, en réitérant à M. Bayle l’ordre de lui garder le secret. »

Voilà deux sentimens fort opposés, et qui ont néanmoins chacun leurs partisans. Cependant il y en a encore un troisième qui semble avoir prévalu : plusieurs personnes attribuent cet ouvrage à M. Bayle, quoique par des raisons différentes. Les uns se fondent sur le témoignage de M. Jurieu : mais quel fond peut-on faire sur son témoignage ? D’ailleurs, il avait tellement lié la prétendue Cabale de Genève avec l’affaire de l’Avis aux réfugiés, qu’il ne lui était plus permis de les séparer. La fausseté d’une de ces accusations bien avérée détruisait nécessairement l’autre. Cependant lorsqu’il fut convaincu que cette Cabale n’était qu’une chimère, il ne laissa pas de persister à soutenir l’accusation touchant l’Avis aux réfugiés. Mais trouvant ensuite que cette séparation ne lui était pas favorable, il n’eut pas honte de reprendre l’accusation de la Cabale.

D’autres attribuent cet écrit à M. Bayle, parce qu’ils croient y

  1. Lettre de M. l’abbé d’Olivet à M. le Président Bouhier, p. 1 et 2 de la 2e. édition, imprimée à Paris, 1739, in-12.