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VIE DE M. BAYLE.

me une chose certaine que tout plan de paix générale qui ne dépouillerait pas la France de tout ce qu’elle avait conquis depuis long-temps, et qui ne l’affaiblirait pas jusqu’au point de ne pouvoir plus être suspecte à ses voisins, serait rejeté [1]. » Dans le temps qu’on faisait des copies de cet écrit, M. Bayle étant entré dans la boutique du sieur Acher, libraire de Rotterdam, ce libraire [2] « le pria de jeter les yeux sur un manuscrit qu’on lui avait mis en main, et de lui dire ce qu’il en croyait, et si ce ne serait pas un ouvrage de débit. M. Bayle n’eut pas plus tôt vu la première page, qu’il connut et dit tout haut, en présence de plusieurs réfugiés qui étaient dans cette boutique, que c’était un écrit qu’il avait donné à copier, et il en parut fâché, parce qu’il craignit que le copiste ne se fût mis dans la tête de donner à imprimer cet ouvrage ; car il n’avait reçu commission de Genève que de le faire voir en manuscrit, et de savoir ce que les connaisseurs en pensaient, afin que l’auteur rajustât les choses, selon les différentes vues qui lui seraient suggérées... Mais le sieur Acher le rassura en lui disant que celui dont il tenait cette copie ne s’en dessaisirait qu’en la rendant à M. Bayle ; et, comme il le crut maître de l’ouvrage, il le pria de lui en procurer l’édition. M. Bayle lui répondit qu’il n’avait aucun ordre de faire imprimer cette pièce, et que si on en venait là, et que la chose fût laissée à sa disposition, il le préfèrerait à tout autre. Il en parut fort reconnaissant.

 » [3] Quelque temps après, M. Minutoli écrivit à M. Bayle que l’auteur se disposait à publier à Lausanne les six premiers entretiens, pendant qu’il achèverait les deux autres. M. Bayle le dit au sieur Acher, qui ne trouva pas à propos de changer de dessein, vu qu’il n’y avait pas d’apparence qu’une édition de ce pays-là empêchât qu’une édition de Hollande ne se vendît bien, étant plus belle et plus à portée de se répandre partout que celle de Suisse. Il proposa donc, uniquement, pour lui faire plaisir, qu’on leur envoyât les feuilles de l’édition de Lausanne à mesure qu’elles seraient tirées, y ayant à Rotterdam un libraire qui les réimprimerait. On agréa la proposition, et d’ordinaire en ordinaire, M. Minutoli fit espérer à M. Bayle qu’on lui enverrait les feuilles avec les corrections de l’auteur. Il lui marqua que l’ouvrage serait considérablement augmenté, et que la forme en serait presque toute changée en mieux ; que l’auteur insistait particulièrement sur le point de la garantie, et qu’il avait mis l’article des réfugiés en un état qui avait plu à plusieurs d’entre eux. Comme les feuilles ne venaient point, M. Minutoli priait M. Bayle de tenir

  1. P. 20, 77.
  2. P. 16 et suiv.
  3. P. 18, 19.