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VIE DE M. BAYLE.

« Il faut lui rendre ce témoignage, dit-il, que l’intérêt ne saurait avoir de part dans ces apparences de zèle. Car il n’avait aucun dessein de se faire un mérite de son ouvrage auprès des puissances, puisqu’il a pris toutes sortes de sûretés pour n’être pas connu [1]. »

Mais il ne rendait cette justice à l’auteur que pour le rendre plus ressemblant à M. Bayle. Il faisait la même chose en parlant de l’Avis. D’abord il disait de cet ouvrage tout ce qu’il pensait de M. Bayle qui était son objet. Il trouvait que le style en était coulant, facile, égayé ; que les figures en étaient naturelles, les métaphores heureuses, les ornemens bien choisis et bien placés ; qu’il attachait par un charme secret, qu’il était plein d’une littérature agréable, et que l’érudition y était fort bien dispensée [2]. Tout cela convenait à M. Bayle dans l’opinion publique. Ensuite il disait que cet auteur frappait coup sur coup pour atterrer ses adversaires, et renfermait avec beaucoup d’art en peu d’espace tout ce qui s’était jamais dit de plus terrassant contre les réformés ; que son livre était le plus pernicieux ouvrage qui eût été fait contre eux depuis la réformation, faisant voir la réformation du côté le plus hideux [3] ; parce que cela était encore nécessaire pour son but, qui était de rendre M. Bayle odieux. Mais quand il réfutait le livre, et que, venant à s’échauffer, il oubliait son premier dessein, ce n’était plus qu’un ouvrage si extravagant pour le fonds qu’il ne fallait ni système, ni principe, ni raison, pour en composer un semblable ; ouvrage qui était tout superficie, et rien dedans ; c’était une petite figure de cire polie et bien peignée, bien assortie de blanc et de vermeil, mais il n’y avait dedans ni chair, ni os, ni nerfs ; on n’y trouvait que deux difficultés assez maigres que l’auteur avait engraissées de la fertilité de son imagination et du trésor de ses recueils [4] ; deux misérables difficultés, tout le reste étant dorure, broderie, invectives, historiettes, reproches et bagatelles, des réflexions hors d’œuvre et qui ne faisaient pas des preuves [5] ; ouvrage où il n’y avait point de système [6] ; c’était un petit recueil du polyanthea et pure pédanterie [7] ; ouvrage enfin si peu sagement et solidement écrit, que c’était prendre les hommes pour des bêtes qui se laissent mener par le nez et par les oreilles [8]. Ses jugemens n’avaient d’autre règle que sa passion. Il représentait l’Avis comme un ouvrage formidable, pour pouvoir le donner avec plus de vraisemblance à M. Bayle ; et il attribuait à M. Bayle le dessein d’avoir voulu faire l’apologie du roi de France et du roi Jacques, parce que, dans la situation présente des affaires, rien n’était

  1. P. 69.
  2. P. 5, 6.
  3. P. 7.
  4. P. 91, 92.
  5. P. 97, 98.
  6. P. 180.
  7. P. 210.
  8. P. 98.