Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
VIE DE M. BAYLE.

formelle de quatre ou cinq Lettres pastorales de M. Jurieu, de quoi les convertisseurs de France ne manqueraient pas de se prévaloir en disant à nos frères qu’ils ne doivent faire aucun cas des écrits de ce ministre dont les sentimens sont si outrés et si violens, diraient-ils, que les synodes n’ont pu s’empêcher de le flétrir, et de lui ôter quasi toute lettre de créance. Il me paraît, monsieur, que c’est un terrible inconvénient, et que nous ne devons pas fournir des armes à nos adversaires contre ceux qui travaillent à soutenir le roseau cassé de nos églises de France, et à y conserver le lumignon fumant.

 » IV. Enfin je considère que pour donner le désaveu au dogme de la souveraineté des peuples, il faut se renfermer, en répondant à l’Avis, au sentiment particulier des réfugiés, sans se mêler de ce que les protestans de la confession de Genève croient en Hollande et en Angleterre. Or, n’est-ce pas le moyen de nous rendre odieux que de ne rien dire pour la justification des dernières révolutions d’Angleterre, lorsqu’on répond à un libelle qui les a reprochées si aigrement ? N’est-ce pas même indirectement condamner la conduite de la Hollande et de l’Angleterre, que de désavouer synodalement la doctrine de M. Jurieu, de Junius Brutus, de Buchanan, etc, etc. ? et quel mal ne pourrait pas venir de là sur le corps des réfugiés ?

 » Pour toutes ces considérations, je n’eus pas plus tôt travaillé à la réponse dès le mois d’avril dernier deux ou trois jours, que je la laissai tout-à-fait, donnant pour raison que, d’autres y travaillant, je voulais voir comment ils s’en tireraient. On l’a vu, monsieur, on a publié depuis peu la Défense des réfugiés, qui n’est qu’une justification la plus étudiée, et l’apologie la plus travaillée du dogme de la souveraineté des peuples, je dis des peuples en tant que distincts des rois, des sénats, des états-généraux, et autres corps représentatifs. Il est évident que quand nous aurions cent argumens pour prouver que ce dogme est vrai, nous n’avancerions point nos affaires, et que sur l’étiquette du sac, je veux dire sur le simple aveu que nous le croyons très-vrai, on nous regarderait en France comme inhabiles à y rentrer jamais. Cette Défense donc ne sert de rien à notre cause, puisqu’elle ne nie pas que l’accusation des adversaires ne soit fondée en fait, et qu’elle soutient seulement que ce fait est juste et bon. J’ai donc vu alors renouveler les instances pour reprendre mon travail, et on m’a assuré que j’obtiendrais toutes les approbations que la chose demande. Je n’ai pas néanmoins voulu m’engager fort avant sans vous avoir consulté, monsieur, et sans vous supplier très-humblement de m’honorer de vos bons conseils sur les griefs que je vous ai articulés en toute confiance. Faites-moi savoir, je vous prie, franche-