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VIE DE M. BAYLE.

tions miraculeuses, et tout ce, en un mot, qui est le plus digne d’une année climatérique du monde. Vous avez vu au contraire toutes choses rouler si naturellement, si uniment et si fort tout d’une pièce, qu’il serait malaisé de rencontrer dans l’histoire une guerre aussi générale que celle-ci, dont la première campagne dans la plus grande animosité des parties, ait été aussi peu chargée d’événemens que l’année 1689. Pour le moins est-il certain que l’affaire que vous regardiez comme la plus immanquable, savoir votre rétablissement, n’est point encore arrivée. Je ne vous le dis pas, continuait il, pour vous insulter, à Dieu ne plaise, vous savez mes sentimens : vous n’ignorez pas que j’ai désapprouvé la conduite qu’on a tenue envers vous, et que j’ai un regret extrême de ce que la France s’est privée de tant d’honnêtes gens, et de personnes de mérite qui ont été chercher un asile dans les pays étrangers. De sorte que, si je vois avec plaisir que l’année 1689 n’a point répondu à vos prédictions, ce n’est nullement à cause du préjudice que vous en recevez, mais à cause qu’on doit être bien aise, en faveur de la raison et du bon sens, que la superstition des nombres et la crédulité populaire soit démentie par des expériences palpables qui puissent autant l’affaiblir, qu’elle se serait fortifiée par les événemens à quoi vous vous étiez attendus. » Après cela, il félicitait son ami sur les dispositions favorables qu’on disait être dans l’esprit du roi de France pour le rétablissement des réformés, et l’assurait qu’en général tout ce qu’il y avait de plus raisonnable dans les trois ordres du royaume approuverait qu’on leur laissât une honnête liberté. « Mais permettez-moi, ajoutait-il, de vous avertir d’une chose, vous, monsieur, et tous vos confrères réfugiés en divers pays étrangers ; c’est de faire une espèce de quarantaine avant que de mettre le pied en France, afin de vous purifier du mauvais air que vous avez humé dans les lieux de votre exil, et qui vous a infecté de deux maladies très-dangereuses et tout-à-fait odieuses ; l’une est l’esprit de satire, l’autre un certain esprit républicain qui ne va pas à moins qu’à introduire l’anarchie dans le monde, le plus grand fléau de la société civile. Voila deux points sur lesquels je prends la liberté de vous parler en ami. »

Sur le premier point, qui regarde les écrits satiriques, il se plaint amèrement de tant de libelles pleins d’injures et de contes scandaleux dont le public était inondé et où les réfugiés paraissaient, dit-il, ne respirer que la vengeance. Il les impute tout le corps des réfugiés, parce qu’il ne les avait pas désavoués publiquement. Il remonte même jusqu’à leurs ancêtres et les accuse d’avoir introduit la licence des libelles diffamatoires. Il soutient que cet acharnement satirique est toujours la marque infaillible de l’hérésie, et fait voir