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VIE DE M. BAYLE.

égard, ceux qui continueraient à débiter une conjecture aussi opposée que celle-là à toutes les règles de la critique. Il vaudrait autant, ajoutait-il, attribuer à Balzac les lettres de Voiture, et à Blondel celles de Baudius. »

Le Commentaire philosophique ne plut point à M. Jurieu. Comment aurait-il pu goûter un ouvrage où la douceur, la modération, où pour tout dire en un mot, la tolérance, était si fortement établie ? Il entreprit de le réfuter, et intitula sa réponse, Des droits des deux souverains en matière de religion, la conscience et le prince ; pour détruire le dogme de l’indifférence des religions et de la tolérance universelle, contre un livre intitulé Commentaire philosophique sur ces paroles de la parabole, Contrains-les d’entrer. Il débute [1] en se représentant comme un nouvel écrivain que l’autorité d’un ami et son propre chagrin contre ce livre allaient ériger en auteur malgré la nature et malgré lui. Il dit ensuite à son ami ce qu’il pense de ce livre ; c’est qu’il est original et non pas copie, qu’il est né français et non pas anglais. Il ajoute qu’il n’est pas d’un seul auteur. « Cela paraît, dit-il, un ouvrage de cabale, et une conspiration contre la vérité. Il n’est rien de plus inégal que le style. Dans la première partie il est clair et assez fort, et il y a des endroits dans la seconde où l’on trouve des embarras et des obscurités qui ne paraissent point du génie qui parlait auparavant. Le prétendu traducteur affecte de se servir quelquefois de vieux mots français et qui ne sont plus du bel usage ; mais je trouve la fraude un peu grossière, car d’ailleurs il paraît savoir assez de français pour écrire plus correctement. » Mais dans l’avis au lecteur il dit sans détour que les auteurs de ce Commentaire philosophique sont des théologiens français et par conséquent réfugiés. Lorsque M. Jurieu voulut ensuite faire un crime à M. Bayle d’avoir composé cet ouvrage, M. Bayle le rappela toujours à la déclaration qu’il fait ici, que c’est l’ouvrage de quelques théologiens français. Voici comment il tâche d’adoucir ce faux jugement dans un écrit satirique publié en 1691 contre plusieurs théologiens français, et particulièrement contre M. Bayle. « L’année suivante de notre dispersion, dit-il [2], parut un méchant livre intitulé le Commentaire philosophique, où cette pernicieuse doctrine de l’indifférence des religions et des dogmes dans la religion chrétienne est établie avec une témérité et une hardiesse qui va jusqu’à l’insolence. Je puis dire que ce livre me navra et me frappa jusqu’au vif. On devinait assez par la neuvième lettre du 3e. tome de la Critique générale où en était la source. Mais le style et plusieurs autres circonstances faisaient comprendre que c’était un ouvrage de cabale, et qui paraissait publié

  1. Des droits des deux souverains, etc., p. 8 et suiv.
  2. Apologie du sieur Jurieu, p. 4, col. 2.