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VIE DE M. BAYLE.

têtes couronnées, au sujet desquelles vous n’ignorez pas qu’on a dit qu’on ne devait employer que des paroles d’or et de soie ; et surtout à l’égard d’une reine comme celle dont nous parlons, qu’on peut dire hardiment, et sans crainte d’offenser les autres, qu’elle n’a point d’égale, je dis même pour le rang ; car les autres reines, à proprement parler, ne sont que les premières sujettes de leurs maris ou de leurs fils ; mais la grande Christine est reine d’une manière si noble et si relevée, qu’elle ne connaît que Dieu au-dessus d’elle.

» Voilà, monsieur, ce que j’avais encore à vous dire, et la réponse que je puis faire à la vôtre. J’espère que vous continuerez de profiter de mes avis, et le temps vous pourra faire voir que je suis plus que vous ne pouvez croire,

» Monsieur,

» Votre très-humble serviteur.

» P. S. Au reste, vous parlez dans vos Nouvelles du mois d’août de la copie d’une seconde lettre de la reine, qui vous est tombée entre les mains, et que vous faites difficulté de mettre au jour. Sa majesté serait assez curieuse de voir cette lettre, et vous lui feriez plaisir de la lui envoyer. Vous pourriez même prendre de là occasion de lui écrire. (Cet avis est à suivre, et vous pourrait être de quelque utilité : ne le négligez pas. Mais j’ai à vous avertir, en cas que vous en profitiez, qu’il ne faut point vous servir du titre de sérénissime avec la reine : il est un peu trop commun pour elle, et sa majesté n’en veut point du tout. Vous mettrez simplement au-dessus de votre lettre : À sa majesté la reine Christine, à Rome. »

M. Bayle profita des ouvertures qu’on lui donnait, et il écrivit à la reine Christine le 14 de novembre la lettre qui suit :

« Madame,

» Je ne prendrais pas la hardiesse d’écrire aujourd’hui à votre majesté si une personne qui a l’honneur d’être à son service ne m’eût conseillé de le faire, et de lui envoyer une copie d’une lettre qui m’est tombée entre les mains. J’ai cru, madame, qu’un conseil comme celui-là justifierait ma témérité, et que je devais profiter de cette occasion de témoigner à la plus illustre reine du monde mon très-profond respect. Je ne sais pas le nom de celui qui me procure ce glorieux avantage ; il n’a pas trouvé à propos de se faire connaître à moi que par le titre d’un des serviteurs de votre majesté ; et il faut lui rendre ce témoignage, qu’il répond par son zèle pour vos intérêts à la qualité qu’il se donne.

» C’est de lui que j’ai appris qu’il y avait certaines choses dans les Nouvelles de la République des Lettres qui ne paraissent pas conformes au respect que tout le monde doit à