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URCÉUS CODRUS.

biens seront enterrés avec moi ! » Si ego, inquit, moriar, nam propè ineluctabilem legem fati me adesse sentio, heu ! quot bana mecum interibunt !

La nuit qu’il mourut il donna des marques d’un esprit égaré ; il lui semblait voir quelqu’un d’une grandeur surprenante, ayant le tête rase, la barbe jusqu’à terre, les yeux ardens, portant des flambeaux dans l’une et dans l’autre de ses mains, et ayant tout le corps dans une violente agitation : la crainte faisant trembler Codrus, il dit à ce spectre, Qui es-tu, qui seul avec l’air d’une furie te promènes dans le temps que tout le monde dort ? ne viens pas à moi comme un ennemi moi qui suis ami de Dieu. Dis, que cherches-tu ? où veux-tu aller ? Ayant dit cela, il sauta du lit pour éviter ce spectre.

On avait toujours douté de sa religion pendant sa vie : son historien avoue qu’il y donnait lieu par ses discours, circa Christianum dogma, si non re, saltem verbis, plerumque claudicabat. Cependant à l’heure de la mort il demanda lui-même les sacremens, et lorsqu’on lui apporta l’hostie, il se frappa la poitrine, comme un homme véritablement touché de repentir, disant qu’il était un misérable, qui n’avait jamais été que dans l’aveuglement. Il leva aussi les yeux et les mains vers le ciel, et implora ardemment le secours de le Sainte Vierge : Fer, quæso, opem misero peccatori ; noli me, qui tuum in sinum confugio, supplicem rejicere. Il prit le viatique avec beaucoup de respect en répandant des larmes, et se recommandant lui et son âme à Dieu : Deo et se animamque suam commendans.

Après sa mort, il fut porté en terre par ses écoliers, suivis de tous les étudians de l’université. Blanchini fit graver sur son tombeau ces paroles, Codrus eram. Codrus l’avait ainsi voulu.

Le nom de Codrus lui fut donné de cette manière. Étant à Forli, le prince le rencontre dans un chemin, et se recommanda à lui ; le professeur lui répondit en riant, « les affaires vont bien ; Jupiter se recommande à Codrus : » Jupiter Codro se commendat. Depuis ce temps-là tout le monde l’appela Codrus.

Codrus était d’une grandeur médiocre ; il avait le corps grêle et délicat, le visage défait par la pâleur et la maigreur, les yeux blanchâtres et un peu enfoncés, le nez aquilin, peu de cheveux, et l’air quelquefois imbécile ; d’ailleurs il l’avait toujours doux. Il fut presque toujours valétudinaire depuis sa naissance jusqu’à l’âge de quarante-quatre ans. Il avait l’estomac débile, et se sentait quelquefois dans une si grande inanition, qu’il restait tout le jour dans le lit comme un homme mourant, sans parler, sans même se plaindre ; mais, dès que le soir revenait, ses forces revenaient aussi. Il avait peu de mémoire, ce qui faisait qu’il lisait souvent ses oraisons en public au lieu de les prononcer par cœur, et quoique sa prononciation fût désagréable, on l’écoutait cependant avec un plaisir extrême. Il était si rigoureux juge des ouvra-