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DE L’ÉDITION DE PARIS.

pas d’écrire, après M. Moréri, qu’on y passe le Rhin sur un beau pont de pierre. La remarque est triviale, je le veux ; cependant elle sert à corriger une faute qui a constamment passé dans douze éditions, et dans laquelle M. Leclerc, cet habile géographe, qui se mêle de critiquer Quint-Curce[a], est tombé comme les autres : c’est une faute d’inattention, je le veux encore, elle ne peut pas même être[b] d’une autre espèce ; mais en est-elle moins une faute ? Et combien de ces petits auteurs qui n’ont d’autre fonds pour faire des livres, que le grand Dictionnaire historique, croiront dans la suite qu’on passe le Rhin à Brisach sur un beau pont de pierre ? Ces petits livres, qui sont copiés les uns des autres, ayant une fois donnés au cours à cette fausse tradition, il n’en faudrait pas davantage dans quelques siècles, pour faire une opinion probable de celle qui porte aujourd’hui, qu’il y a un pont de pierre à Brisach : et de là des contestations entre les géographes, de la nature de celle que nous voyons de nos jours, entre M. Leclerc et M. Perizonius, sur des passages du célèbre historien d’Alexandre le Grand.

L’opinion que commence à établir la nouvelle édition du Dictionnaire de Moréri, sur l’année de la mort du roi Jacques II, ne fera-t-elle pas aussi un jour la matière d’un procès entre les chronologistes ? Fondés sur des titres incontestables, les uns placeront cette mort sous l’année 1701, les autres viendront, l’édition de 1704 à la main, soutenir que ce prince n’est mort[c]

  1. Il fallait dire Quinte-Curce. Voyez ci-dessous l’article Quinte-Curce, Rem. de M. Bayle.
  2. Notre auteur me permettra de lui dire que non-seulement la faute qu’il marque peut être d’une autre espèce que les fautes d’inattention ; mais qu’elle est aussi effectivement d’une autre espèce, car il n’y a point d’attention aux paroles de Moréri qui puisse faire juger qu’il s’est trompé en disant que le pont de Brisach est un pont de pierre. Il n’y a que ceux qui savent d’ailleurs que cela est faux qui puissent connaître qu’il s’est trompé. Mais voici l’exemple d’une faute d’inattention. Moréri, en parlant d’une rivière nommée le Morin, avait dit qu’elle est dans la Brie, qu’elle a sa source auprès de Sédane, qu’elle passe par la Ferté-Gaucher, par Colmier, etc. Il n’avait pas bien copié ce dernier mot, car le sieur Coulon son original a dit Colomier (il devait dire Colomiers ;) mais pour le mot de Sédane, il l’a fidèlement copié. Ceux qui ont corrigé Moréri ont changé Sédane en Sédan, quoique sans doute ils sussent assez de géographie pour ne pas ignorer que Sédan est bien éloigné de la Brie. C’est donc faute d’attention qu’ils ont mis dans leurs éditions du Moréri que le Morin, rivière de France dans la Brie, a sa source auprès de Sédan. Il fallait dire auprès de Sézane. Pour ce qui est de Colmier, ils ont pu croire qu’il y avait dans la Brie un lieu de ce nom ; mais en s’appliquant un peu plus, ils eussent appris qu’il allait mettre Colomiers, et non pas Colmier. (Dans l’édition de 1725, on dit que cette rivière a sa source auprès de Sézanne, et qu’elle passe par Coulomier. Nouv. Observ.) Peut-être que M. Moréri avait embrassé plus qu’il ne fallait la coutume de plusieurs Français, de prononcer à deux syllabes les noms qui s’écrivent en trois. C’est ainsi que des auteurs qui ont écrit contre M. de Vallemont, l’appellent Valmont, et que d’autres nomment Malment un auteur qui écrit son nom Mallement. Cela sera cause un jour que les bibliographes donneront un auteur nommé Vallemont, et un autre nommé Valmont, etc. : mais M. Moréri ne serait point excusable sur la coutume qu’il aurait prise de prononcer Colgne et non pas Cologne, Colnie et non pas Colonie. Il devait écrire les noms propres, non pas selon sa prononciation, mais selon leur orthographe. Rem. de M. Bayle.
  3. Je crois que cette fausse date est une faute d’impression ; néanmoins le critique n’a pas été obligé de rechercher si elle venait de l’éditeur ou des imprimeurs. C’est le destin des auteurs qu’il faut qu’ils portent la peine de la négligence des correcteurs d’imprimerie. Je ne prétends pas assurer en général qu’un auteur ne se trompe quelquefois sur des époques insignes et toutes fraîches,