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PRÉFACE

corum genus laudantes. J’avoue pourtant qu’il n’a point été donné dans cet esprit-là.

L’éditeur ne pouvait pas ignorer le jugement de toute la France, et que si les souhaits de la nation eussent été considérés, le commandement des armées eût été bientôt ôté au guerrier dont nous parlons ; mais il semble que le prince ait voulu montrer en cela qu’il se croyait autant supérieur à ses sujets par les lumières de son jugement que par la dignité de son caractère. L’éditeur ne pourrait pas s’excuser sur un certain tour d’esprit que l’on remarque dans les Français, et qui a été assez bien représenté par un écrivain moderne : Les Français, dit-il, sont souvent fort incompréhensibles. Ils aiment leur roi et leur patrie, ils aiment l’honneur de leur nation, ils ont d’elle la plus haute opinion qu’on puisse avoir : cependant leur nation même ne fait rien dont ils soient contens : il leur semble toujours qu’il faudrait faire autre chose que ce qu’on fait. Les réponses les plus sages, les entreprises les plus heureuses, les mesures les mieux concertées évitent rarement leur censure. Ils louent les étrangers, ils vantent leurs ouvrages, leurs forces, ils admirent leurs conseils ; ils relèvent leurs succès. L’éloignement augmente le respect [a]. Ils méprisent et ils blâment tout ce que produit la France. Quelque grand que soit par tout le royaume le nombre de ceux à qui ce caractère convient, un auteur n’est pas pourtant obligé de ne louer ou de ne blâmer que ce qu’ils louent ou blâment ; mais comme ils n’ont pas été les seuls qui aient crié contre le général en question, et qu’au contraire ils n’ont fait que joindre leur voix à celle de tout le public, l’éditeur ne pourrait pas se disculper s’il n’alléguait point d’autre raison que celle-là. Que s’il voulait s’excuser sur ce que la faveur de celui qu’il loue a plutôt augmenté que diminué auprès de son maître, il se justifierait très-mal. Cela prouve bien que la fortune, qui ne l’a jamais suivi en campagne, lui a tenu une fidèle compagnie à la cour ; mais on ne peut tirer de cela nulle conséquence contre la notoriété publique ; et si un monarque se veut distinguer en faisant entrer dans son caractère un paradoxe de pratique aussi rare que l’est celui de récompenser magnifiquement les mauvais succès, un auteur n’a pourtant nul droit de donner des louanges dont tout le monde reconnaît la fausseté. Si au lieu de ces paroles, prudence, bonheur et gloire, on se fût servi des termes d’affection, de zèle, de bonne intention, on n’eût point scandalisé le public, ni rendu un aussi mauvais office au guerrier qu’on a loué. Mais, encore un coup, le mieux sera d’effacer l’éloge et de ne rien mettre à la place de ce qui sera effacé.

Pour parler encore une fois de la peine qu’une bonne correction du Moréri oblige de prendre, je remarquerai que les premières éditions de ce Dictionnaire, quoiqu’elles soient plus défectueuses que celles de Hollande, peuvent néanmoins servir très-utilement

  1. E longinquo reverentia major.