Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
377
DE M. BAYLE.

y raconte. La même clarté se devait trouver dans les remarques de l’anonyme, puisqu’elles sont une espèce de supplément au Moréri, et un modèle de le corriger. C’est donc un défaut que d’indiquer un livre d’Almain d’une manière si obscure pour tant de lecteurs. On peut ajouter que pour se rendre commode aux éditeurs du Moréri, il faut leur épargner le plus de peine qu’il est possible, et les mettre sur les voies. C’est ce que l’on n’a point fait à l’égard de l’omission qu’on leur reproche concernant Almain, et c’est ce que l’on aurait fait si on leur avait bien marqué le caractère de l’ouvrage, le lieu et le temps de l’impression, etc. Je remédierais volontiers à ce défaut, si j’avais sur cela les lumières nécessaires ; mais tout ce que je puis conjecturer est que notre auteur a voulu dire qu’Almain écrivit un ouvrage où il traita de l’autorité du peuple, et de l’autorité de l’église, et qu’il soutint que comme la puissance du peuple représenté par l’assemblée des états du royaume est supérieure à celle du chef de la nation, c’est-à-dire à celle du roi, la puissance d’un concile représentatif de tout le corps de l’église est supérieure à celle du pape nonobstant la primauté du pape, et sa qualité de chef de l’église. Il est sûr que Jacques Almain, ayant appris de Jean Major, Écossais de nation, cette doctrine de l’autorité du peuple, la soutint vigoureusement, et qu’il l’employa comme une preuve de la supériorité des conciles sur le pape. L’énumération de ses livres donnée par M. de Launoi [a] contient ceci : Expositio circa decisiones quæstionum magistri Guillelmi Occam de potestate summi pontificis, liberque inscribitur de supremâ potestate ecclesiasticâ et laïcâ, ubi certa quædam est propositio quæ tunc, ut apparuit, tolerabatur, sed nunc tolerari desiit. Il y a eu toujours en France des docteurs qui ont soutenu la supériorité du pape sur le concile, et qui ont adroitement objecté que ceux qui font tant valoir les écrits d’Almain et de Major pour le sentiment contraire autorisent un dogme républicain tout-à-fait injurieux à la majesté royale. C’est ce qui contribua au renversement de la fortune du fameux docteur Richer sous le règne de Louis XIII. Car ce ne fut point par une pure complaisance pour la cour de Rome qu’on le persécuta ; on prévint la cour de France contre lui en montrant qu’il ne soutenait avec chaleur l’infériorité du pape que parce qu’il était fortement imbu de la maxime que les états du royaume sont supérieurs au roi, et le peuvent détrôner, chasser, encloîtrer, et châtier de telles autres manières que bon leur semble. On montra une thèse qu’il avait soutenue, l’an 1591, que les états étaient indubitablement au-dessus d’un roi, et que Henri III avait été justement poursuivi comme tyran.

Il me semble que si notre auteur avait voulu éclaircir ce qu’il ne propose qu’en énigme, et

  1. Pag. 613 de l’Histoire latine du collége de Navarre.