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SUR LES OBSCÉNITÉS.

gine du mal. Il demande de tout autres remèdes. On est déjà tout pénétré d’obscénités, et l’on a fait tout son cours de matières sales et d’ordures, en paroles pour le moins, avant que l’on ait lu Suétone. Les mauvaises conversations, inévitables à tout jeune garçon qui n’est point gardé à vue, font mille fois plus de mal que les histoires de l’impureté. Un très — habile homme a dit que le Plutarque d’Amyot est dangereux pour les mœurs, en ce qu’il peint les choses d’une manière trop libre et trop naïve, et qu’il s’y trouve quelques termes qui ont aujourd’hui une signification peu honnête [1]. Il me permettra de n’être pas de son sentiment. Les peintures et les phrases d’Amyot n’ont rien qui approche de celles que l’on voit et que l’on entend tous les jours dans le commerce du monde. Joignez à cela que si cette traduction de Plutarque était dangereuse pour les mœurs, toute autre version de Plutarque le serait aussi, à moins qu’on ne retranchât de l’original tous les endroits où les choses ont été peintes d’une manière trop libre et trop naïve.

Il n’y a point ici de milieu : il faut, ou qu’un livre ne fasse aucune mention d’aucun fait impur, ou que nos censeurs avouent qu’il sera toujours dangereux quelque délicatement qu’il soit écrit. Une traduction sera plus polie que l’autre ; mais si elles sont fidèles, on y trouvera les images des impuretés que l’original rapporte.

Que M. Chevreau assure que faire des enfans est une expression grossière, et qu’il faut dire avoir des enfans. C’est ce qu’on pourra lui accorder ; mais si quelqu’un ajoutait que par la première de ces deux phrases on fait un grand tort aux mœurs, et que par la seconde on leur rend beaucoup de service, il le faudrait traiter de conteur de pauvretés et de fadaises.

Si l’on examine bien les choses, on trouvera que le mot paillard ne doit être rejeté que par la même raison qui fait rejeter les termes contaminer, vilipender, vitupérer, et une infinité d’autres du vieux gaulois. Cela veut dire qu’il n’a point d’autre défaut que d’avoir vieilli. Les oreilles délicates se plaindraient qu’on les écorche, si l’on se servait des mots que je viens de rapporter. Voilà ce qui fait aussi que l’on est choqué de paillard, de paillardise ; car si la chose signifiée était le sujet du dégoût, on ne pourrait pas souffrir le mot impudique, dont l’idée est aussi forte que celle de paillard.

J’ai encore deux observations à faire. La première est que nos puristes approuvent presque toujours dans l’hypothèse ce qu’ils condamnent dans la thèse. Qu’il me soit permis d’employer ici ces termes de rhétoriciens. Demandez à un catholique romain ennemi des quiétistes, s’il ne faut pas qu’un historien s’abstienne de toucher aux choses qui peuvent salir l’imagination ? Il vous répondra, C’est son devoir. Laissez passer quelques jours, et puis allez lui apprendre qu’il pa-

  1. Dacier, Préface de sa traduction de quelques Vies de Plutarque.