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SUR LES OBSCÉNITÉS.

tions du second de Canis pretio, et de Eunuchis[1] ; et la Dissertation du troisième sur les baisers[2] ; on y trouvera des obscénités affreuses, et des citations abominables.

On me répliquera que ces ouvrages sont en latin. C’est la seconde difficulté que j’ai à résoudre, et j’en ferai voir sans peine la nullité : car un objet sale ne blesse pas moins la pudeur quand il va se peindre en latin dans l’âme de ceux qui entendent cette langue, que lorsqu’il se peint en français dans l’âme de ceux qui entendent le français ; et si c’était une chose condamnable que d’imprimer des objets obscènes dans son imagination, et dans celles de ses lecteurs, on ne saurait disculper ces trois ministres. Ils entendaient ce qu’ils écrivaient, et ils l’ont rendu intelligible à tous leurs lecteurs, et par conséquent ils ont sali leur esprit, et ils salissent tous les jours l’imagination de ceux qui les lisent. Mais ne serait-on pas bien injuste si on leur faisait ce reproche ? il faut donc ne le point faire à ceux qui écrivent en français ; car ils ne vont pas plus loin que d’entendre ce qu’ils écrivent, et de le rendre intelligible à leurs lecteurs.

Je sais qu’on allèguera deux différences : l’une, que ceux qui entendent le latin ne sont pas en aussi grand nombre que ceux qui entendent le français : l’autre, que ceux qui entendent le latin se sont mieux fortifiés que les autres hommes contre l’influence maligne des objets sales… Voici trois réponses à cela. Je dis, en premier lieu, que le latin est intelligible à un si grand nombre de personnes par toute l’Europe, que la première différence ne pourrait jamais suffire à disculper ceux qui racontent ou qui citent des obscénités en cette langue ; le mal serait toujours grand, et même très-grand. Je dis, en second lieu, que l’étude ne communique des forces que peu à peu contre les objets qui salissent l’imagination ; et ainsi les obscénités latines seraient toujours fort à craindre par rapport aux écoliers. On ne voit guère, généralement parlant, qu’ils soient plus chastes et moins débauchés que les autres jeunes hommes. Enfin je dis que la plupart de mes lecteurs ont étudié ; car ceux qui n’ont point d’étude ne se plaisent guère à s’arrêter sur un livre entrecoupé comme celui-là de passages grecs et latins. En tout cas ils ne peuvent rien entendre aux principales obscénités, puisqu’elles sont en latin. Je conclus que s’il y a du bon dans les différences que l’on m’objecte, je suis en état de m’en prévaloir.

Passons à la troisième difficulté : elle porte sur la corruption extrême de notre temps. Nous avons perdu, dit-on, et l’honnêteté des mœurs, et celle des mots. Les termes qui étaient autrefois honnêtes, ne le sont plus : il en faut employer d’autres qui n’excitent que des idées de pudeur ; car sans cela on achèverait de perdre le peu de vertu qui s’est conservé. Je n’examine point si l’on a raison de prétendre que

  1. Dans l’ouvrage intitulé : Otia Theologica, imprimé l’an 1684.
  2. Dans le livre intitulé Dierum Genialium sive Dissertationum Philologicarum Decas I imprimé l’an 1694.