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SUR LES OBSCÉNITÉS.

mais, à cause qu’ils ne l’aimaient pas, ils ont embrassé les maximes des puristes.

Mais quelque nombreuse que puisse être cette faction, ou par ces motifs, ou par d’autres plus honnêtes, il est sûr que l’autre parti est assez considérable pour faire que l’on disculpe ceux qui le suivent. Le poids et l’autorité des anciens pères de l’église qui l’ont embrassé à l’imitation des prophètes et des apôtres, lui donne un si haut degré de probabilisme, que si quelques-uns s’aheurtaient à soutenir que l’on ne peut pas s’y ranger en sûreté de conscience, ils ne mériteraient pas qu’on les écoutât.

S’ils se réduisaient à soutenir que l’autre parti est meilleur, on se pourrait croire obligé à nouer des conférences avec eux, pour comparer les unes avec les autres les raisons de ces deux sectes, quoiqu’à dire le vrai il paraisse bien étrange que des chrétiens mettent en doute s’il y a un meilleur chemin à suivre que celui des écrivains inspirés de Dieu. Mais enfin on pourrait se relâcher de ce grand droit, et entendre leurs difficultés, et leur proposer les siennes. Je n’ai nullement besoin de ces discussions. C’est assez pour moi que la conduite des historiens ou des censeurs, qui rapportent des obscénités, soit non-seulement de permission, et autorisée par un usage non interrompu, mais aussi fort bonne.

Car si ces auteurs-là ont pu écrire légitimement ce qu’ils ont écrit, je les ai pu imiter, et les citer légitimement. Cela me suffit. Examinera qui voudra si j’eusse mieux fait en me conduisant d’une manière toute différente.

Le droit qu’on a de citer ce que j’ai cité se fonde sur deux raisons : l’une, que s’il est permis à toute la terre de lire Catulle et Martial, etc., il est permis à un auteur de rapporter de ces poëtes les passages que bon lui semble : l’autre, que s’il est permis aux historiens de rapporter une action impure commise par Caligula il est permis à un auteur de rapporter une pensée ou une remarque obscène de Montaigne ou de Brantôme : car cette remarque n’est pas une action à beaucoup près aussi criminelle que les infamies de Caligula. Quiconque a droit sur le plus a droit sur le moins, et il serait contradictoire ou absurde de vouloir bien que Pétrone, et Suétone, et les poëtes les plus lascifs, soient imprimés et vendus publiquement avec des notes qui en expliquent les obscénités les plus brutales ; et de défendre à l’auteur d’un dictionnaire historique commenté de se servir d’un passage de ces écrivains pour confirmer ou pour éclaircir quelque chose.

Examinons ici trois objections qu’on fait ordinairement. On dit, 1°. Qu’un médecin et un casuiste sont contraints par la nature de leur sujet à remuer bien des ordures, mais que mon ouvrage ne demandait rien de semblable ; 2°. que ceux qui écrivent en latin peuvent prendre des libertés que notre langue ne souffre point ; 3°. que ce qui était permis dans les siècles précédens doit être interdit au nô-