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ÉCLAIRCISSEMENT

mode, qui, à ce qu’on m’a dit, commence de renvoyer parmi les termes obscènes le mot lavement [1] et médecine, et de substituer à la place le mot général remède. On avait banni le mot de clystère dès qu’on s’était aperçu qu’il renfermait trop de circonstances de l’opération. On avait substitué le mot lavement, dont la signification était plus générale. Mais parce que l’idée de lavement est devenue spécifique, et qu’elle s’est incorporée avec trop de circonstances, on va l’abandonner pour ne point salir et empuantir l’imagination, et l’on ne se servira plus que des phrases générales, j’étais dans les remèdes, un remède lui fut ordonné, etc. Cela ne détermine point à penser plutôt à un lavement ou à une médecine qu’à un paquet d’herbes pendu au cou. J’avoue que ces caprices sont bien étranges, et que, si l’on y était uniforme, ils ruineraient une infinité d’expressions à quoi tout le monde est accoutumé, et qui sont très-nécessaires aux convalescens et à ceux qui les visitent ; car autrement on soutiendrait assez mal la conversation dans leur chambre, et il faudrait recourir à tout le jargon des précieuses : mais, après tout, ces caprices-là sont mieux fondés que ceux des puristes qui veulent bien que toute l’image obscène s’imprime dans les esprits, pourvu que ce soit par tels et tels mots, et non point par d’autres.

Récapitulant ici le contenu de cette partie de mon éclaircissement, j’observe :

1°. Qu’il n’est point question d’un point de morale, mais que c’est ici un vrai procès de grammaire, qu’il faut porter devant les juges de la politesse du style ;

2°. Que j’avouerai ingénument que je ne me suis point proposé la gloire qu’une telle politesse peut procurer ;

3°. Qu’il ne me semble pas que tous les auteurs soient obligés de s’assujettir à la nouvelle idée de la politesse du style ; car si on la suivait ponctuellement, on n’aurait enfin besoin que du dictionnaire des précieuses ;

4°. Que le droit de cette nouvelle politesse n’est pas si bien établi qu’il doive avoir force de loi dans la république des lettres : l’ancien droit subsiste encore [2], et l’on s’en pourra servir jusqu’à l’ouverture de la prescription ;

5°. Que dans un livre comme celui-ci il suffit de ne pas choquer l’usage universellement reçu ; mais qu’en gardant ces mesures avec tout le soin que j’ai pris de les garder [3], il est fort permis d’y faire servir des expressions qui ne seraient pas du bel usage pour un sermonaire

  1. Voyez l’Apologie de Garasse, pag. 107.
  2. Les amis de M. Ménage ont été accusés d’obscénité l’an 1695, pour un livre imprimé avec privilége.
  3. J’ai même observé le précepte de Quintilien à l’égard de certains mots que la corruption des lecteurs a fait devenir obscènes. Vel hoc vitium sit quod κακὸϕατον vocatur : sive malâ consuetudine in obscœnum intellectum sermo detortus est, ut Ductare exercitus, et Patrare bellum, apud Sallustium dicta sanctè et antiquè, ridentur à nobis, si diis placet ; quam culpam non scribentium quidem judico, sed legentium, tamen vitanda, quatenùs verba honesta moribus perdidimus, et evincentibus etiam vitiis cedendum est, sive junctura deformiter sonat. Quintil., lib. VIII, cap. III, pag. m. 367.