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ÉCLAIRCISSEMENT

se sert d’aucun voile en lui présentant une obscénité affreuse. Demander à une femme mariée si elle a eu des enfans serait une horrible grossièreté ; la politesse voudrait que sur ces chapitres l’on employât des expressions figurées, et que par exemple l’on imitât la précieuse qui disait que sa compagne avait donné dans « l’amour permis (qui était le mariage) et qu’elle ne savait comment elle avait pu se résoudre à brutaliser avec un homme ; que c’était qu’elle voulait laisser des traces d’elle-même, c’est-à-dire des enfans [1]. »

Dans le purisme dont nous parlons ce serait être fort raisonnable que de crier contre l’École des femmes de Molière, avec tout l’emportement que Molière a si bien tourné en ridicule et qui est au fond une extravagance insensée. Il n’y a point de personne vertueuse qui ne dût dire les enfans par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable... Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l’agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarmes, et salit à tous momens l’imagination.….… Je mets en fait, qu’une honnête femme ne saurait voir cette comédie sans confusion, tant j’y ai découvert d’ordures et de saletés [2]... Toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. Elles n’ont pas la moindre enveloppe qui les couvre ; et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité... Faut-il d’autre endroit que la scène de cette Agnès, lorsqu’elle dit ce qu’on lui a pris ?... Fi... [3]. Je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux... Quoi ! la pudeur n’est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l’endroit dont nous parlons [4] ? Si quelque Uranie osait répondre : « Non vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête : et si vous voulez entendre dessous quelque autre chose, c’est vous qui faites l’ordure, et non pas elle, puisqu’elle parle seulement d’un ruban qu’on lui a pris [5] ; » il serait de la sagesse de lui répliquer [6] : « Ah ! ruban, tant qu’il vous plaira ; mais ce le, où elle s’arrête, n’est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le d’étranges pensées. Ce le scandalise furieusement, et quoique vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l’insolence de ce le... Il a une obscénité qui n’est pas supportable [7]. » Autant que ce discours est rempli d’impertinences, autant serait-il honnête et juste, selon ce principe-ci : Il faut bannir comme des obscénités toutes les paroles qui salissent l’imagination, c’est-à-dire qui signifient un objet sale. Selon ce principe tous ceux qui ont quelque pudeur ressembleraient

  1. Sorel, de la Connaissance des bons livres, pag. 470, édit. de Hollande.
  2. Molière, Critique de l’École des Femmes, sc. III.
  3. Là même.
  4. Là même.
  5. Là même.
  6. Là même.
  7. Notez que dans cet endroit de Molière il n’y a personne qui ne s’attende à voir dire à Agnès qu’on lui a pris son pucelage. Or c’est une idée d’une saleté horrible.