Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
ÉCLAIRCISSEMENT

que ce sont des mots odieux, sales, et vilains. Voilà donc la première chose que j’ai observée ; je ne me suis point dispensé de la bienséance commune quand j’ai parlé de mon chef. On va voir comment je me suis conduit quant aux passages que j’ai cités des autres auteurs.

J’ai évité, en second lieu, d’exprimer en notre langue le sens d’une citation qui contenait quelque chose de trop grossier, et je ne l’ai rapportée qu’en latin. Je n’ai pris de Brantôme et de Montaigne que certains endroits qui n’étaient pas des plus choquans. J’ai usé de la même précaution à l’égard de d’Aubigné et des autres écrivains français un peu trop libres que j’ai appelés quelquefois en témoignage.

En troisième lieu, j’ai évité de faire mention, en quelque langue que ce fût, de ce qui pouvait avoir un caractère d’extravagance et d’énormité inconnue au vulgaire, et je n’ai rien rapporté de certains livres que presque personne ne connaît, et qu’il vaut mieux laisser ensevelis dans les ténèbres, que d’inspirer l’envie de les acheter à ceux qui en trouveraient ici quelque citation. Je n’ai cité en ce genre de matières que des auteurs qu’on trouve partout, et qu’on réimprime presque tous les ans. Je pourrais nommer un fort honnête homme, qui n’a jamais été débauché, qui écrivit de Londres à un de ses amis qu’il s’était attendu à toute autre chose en lisant mon Dictionnaire, après les déclamations de certaines gens. Je m’imaginais, écrivit-il, que l’on y trouvait des impuretés bien inconnues ; mais je n’y ai rien vu que moi et mes camarades ne sussions avant l’âge de dix-huit ans.

Il ne sera pas difficile désormais de bien connaître si mes censeurs ont raison ou s’ils ont tort. Toute l’affaire se réduit à ces deux points : 1°. si parce que je n’ai pas assez voilé sous des périphrases ambiguës les faits impurs que l’histoire m’a fournis, j’ai mérité quelque blâme : 2°. si parce que je n’ai point supprimé entièrement ces sortes de faits, j’ai mérité quelque censure.

VI. La première de ces deux questions n’est, à proprement parler, que du ressort des grammairiens : les mœurs n’y ont aucun intérêt : le tribunal du préteur ou de l’intendant de la police, n’a que faire là, nihil hæc ad edictum prætoris. Les moralistes ou les casuistes n’y ont rien à voir non plus : toute l’action qu’on pourrait permettre contre moi serait une action d’impolitesse de style, sur quoi je demanderais d’être renvoyé à l’académie française, le juge naturel et compétent de ces sortes de procès ; et je suis bien sûr qu’elle ne me condamnerait pas, car elle se condamnerait elle-même, puisque tous les termes dont je me suis servi se trouvent dans son Dictionnaire sans aucune note de déshonneur. Dès-là qu’elle ne marque point qu’un terme est obscène elle autorise tous les écrivains à s’en servir : je parle des termes dont elle donne la définition. Mais de plus je renoncerais sans peine à toute défense, et je me laisserais facilement condam-