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ÉCLAIRCISSEMENT

rentes manières dont on pèche contre la chasteté, que par rapport à toutes les sortes de fraudes qui se commettent dans les achats.

Au pis aller, on doit rendre à ces auteurs la justice qu’ils demandent, qu’on ne juge pas de leur vie par leurs écrits [1]. Il n’y a nulle conséquence nécessaire de l’une de ces deux choses à l’autre. Il y a des poëtes qui sont chastes et dans leurs vers et dans leurs mœurs : il y en a qui ne le sont ni dans leurs mœurs ni dans leurs vers : il y en a qui ne le sont que dans leurs vers : et il y en a qui ne le sont point dans leurs vers, et qui le sont dans leurs mœurs, et dont tout le feu est à la tête [2]. Toutes les licences lascives de leurs épigrammes sont des jeux d’esprit ; leurs Candides et leurs Lesbies sont des maîtresses de fiction. Les protestans réformés ne peuvent nier cela à l’égard de Théodore de Bèze, puisqu’il déclare qu’il vivait régulièrement lorsqu’il composait les poëmes intitulés Juvenilia, dont il eut tant de repentir [3].

V. Après ces remarques générales, examinons en particulier ce qui concerne ce Dictionnaire, et commençons par dire que si l’on refuse de les prendre pour de bons moyens de justification, cela ne me préjudicie point ; mais que si l’on les accepte sur ce pied-là, elles me servent beaucoup. Je me trouve dans un cas infiniment plus favorable que tous les auteurs dont j’ai parlé [4] ; car que l’on condamne Catulle, Lucrèce, Juvénal, et Suétone tant qu’on voudra, on ne pourra point condamner un écrivain qui les cite. Ce sont des auteurs exposés en vente chez tous les libraires ; ils ne peuvent pas faire plus de mal par les passages que l’on en rapporte que dans leur source ; et il y a une différence extrême entre les premiers auteurs d’une obscénité, et ceux qui ne la rapportent que comme la preuve d’un fait ou d’une raison que la matière qu’ils traitent les oblige de mettre en avant. Je veux que Joubert se soit exprimé d’une façon trop grossière, s’ensuit-il que je n’aie pu alléguer son témoignage, lorsqu’il a fallu que je fisse la critique d’une très-mauvaise raison que l’on avait alléguée contre ceux qui accusaient d’impudicité le médecin Herlicius ? Mais, quoi qu’il en soit, si les excuses qu’on peut alléguer en faveur de Suétone et de Joubert, etc., sont valables, tant mieux pour moi : que si elles ne sont point valables, cela ne me saurait nuire ; l’espèce de ma cause est différente de la leur, et beaucoup meilleure. Par l’argument du plus au moins, ce

  1. Voyez ci-dessus, rem. (D) de l’article Vayer, tom. XIV, pag. 289.
  2. Conférez avec ceci ce que le comte de Bussi Rabutin rapporte touchant madame de........ La chaleur de la plaisanterie l’emporte, et en cet état elle reçoit avec joie tout ce qu’on lui veut dire de libre, pourvu qu’il soit enveloppé : elle y répond même avec usure, croyant qu’il irait du sien, si elle n’allait pas au delà de ce qu’on lui a dit...... Elle est d’un tempérament froid, au moins si on en croit son mari : c’est en quoi il avait obligation à sa vertu, comme il disait, toute sa chaleur est à l’esprit, à la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament. Histoire Amoureuse des Gaules, pag. m. 174 et suiv.
  3. Voyez l’article Bèze, t. III, p. 410 et 411 rem. (V) et (X).
  4. C’est-à-dire les huit classes d’auteurs articulées ci-dessus.