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SUR LES OBSCÉNITÉS.

l’oraison, et n’en sortir que pour aller rendre du service aux malades dans les hôpitaux, etc. Il n’y a presque point d’occupation qui ne soit blâmable par l’argument que l’on en pouvait choisir une meilleure : et de toutes les occupations de la vie il n’y en a presque point de plus condamnable, si on la juge selon les règles de la religion, que celle qui est la plus ordinaire, je veux dire que celle des gens qui travaillent à gagner du bien, soit par le négoce, soit par d’autres voies honnêtes. Les moyens humainement parlant les plus légitimes de s’enrichir sont contraires, non-seulement à l’esprit de l’Évangile, mais aussi aux défenses littérales de Jésus-Christ et de ses apôtres. Il est donc de l’intérêt de tous les hommes que Dieu leur fasse miséricorde sur l’emploi du temps. Les poëtes dont je parle, ayant ce principe, ajoutent qu’ils n’ont fait que suivre les traces de plusieurs personnes illustres par leur vertu et par leur sagesse ; que la liberté qu’ils se sont donnée n’a jamais cessé parmi les honnêtes gens ; que si elle avait été abandonnée pendant quelques siècles afin de servir de proie et de caractère distinctif à la débauche, ils ne seraient pas excusables, et que l’on pourrait procéder contre eux par les fins de non-recevoir ; mais qu’il se trouvera que le droit de possession les favorise, et qu’une chose que tant de personnes d’honneur ont pratiquée s’est maintenue dans l’honnêteté [1]. Voilà une maxime de Pline sur la question présente. C’était l’un des plus beaux esprits, et l’un des plus honnêtes hommes de son siècle : il fit des vers que l’on trouva trop dévergondés [2] ; on l’en blâma : il se défendit par une foule de bons exemples ; et ne voulut point citer l’empereur Néron, quoique je sache, ajouta-t-il, que les choses ne deviennent point pires lorsque les méchans les font quelquefois, mais qu’elles demeurent honnêtes lorsque les gens de bien les font souvent [3].

Que cela suffise à l’égard des poëtes : disons en peu de mots que les auteurs des autres classes dont il s’agit ici peuvent employer les mêmes moyens. Il y en a même qui peuvent dire quelque chose de plus spécieux : un physicien, par exemple, et un médecin, peuvent soutenir qu’il est de leur charge d’expliquer ce qui concerne la génération, la stérilité, les pâles couleurs, et les accouchemens, et la fureur utérine, tout comme d’expliquer la fermentation, et ce qui concerne les maux de rate, la goutte, etc. Un casuiste prétendra qu’il n’est pas moins nécessaire d’instruire les confesseurs et les pénitens par rapport aux diffé-

  1. Je ne dis rien de la licence que M. de Voiture prend dans ses Poésies. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les poëtes se sont donné cette vicieuse liberté. Il y a long-temps qu’ils ont prostitué la chasteté des Muses ; ils se défendent par leur multitude. Il ne faut plus leur disputer une possession qu’ils ont prescrite depuis tant de siècles, par le consentement de toutes les nations. Girac, Réponse à la Défense de Voiture, pag. 74.
  2. Voyez la XIVe. lettre du 15e. livre de Pline, et la IIIe. du livre V.
  3. Neronem transeo, quamvis sciam non corrumpi in deterius, quæ aliquando etiam à malis, sed honesta manere que sapiùs à bonis fiunt. Plin., epist. III, lib. V, pag. m. 289.