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ÉCLAIRCISSEMENT

soutiendraient que tous les auteurs se trouvent au même cas, les uns plus, les autres moins, vu qu’il n’y en a aucun à qui l’on ne puisse dire qu’il pouvait choisir une occupation plus chrétienne que celle qu’il s’est donnée ; car, par exemple, un théologien, qui a donné tout son temps à commenter l’Écriture, en aurait pu faire un usage plus chrétien. N’eût-il pas bien mieux valu qu’il eût partagé sa journée entre l’oraison mentale et les œuvres de charité ? Que n’employait-t-il une partie du jour à méditer les grandeurs de Dieu et les quatre fins dernières ? Que n’employait-t-il l’autre à courir d’hôpital en hôpital pour l’assistance des pauvres, et de maison en maison pour consoler les affligés, et pour instruire les petits enfans ? Puis donc que tous les hommes sans en excepter un seul, diraient ces gens-là, sont incapables de rendre un bon compte de leur temps au tribunal sévère de la justice divine, et qu’ils ont tous besoin de miséricorde sur une infinité d’inutilités, et sur l’erreur d’avoir choisi ce qui n’était pas le plus nécessaire, nous demandons une autre juridiction ; nous demandons que l’on examine si nous avons fait des choses qui, au jugement du public, ou au tribunal des magistrats, dégradent de la qualité d’honnête homme, et privent du rang et des priviléges dont jouissent les hommes d’honneur. Nous demandons une chose que l’on ne peut refuser à plusieurs honnêtes femmes qui vont à la comédie et au bal, qui aiment le jeu et les beaux habits, et qui ont assez de soin de leur beauté pour étudier avec beaucoup d’attention quels sont les ajustemens qui la font paraître avec plus d’éclat. Elles ne sont pas si aveugles qu’elles ne sachent que c’est être dans le désordre par rapport à l’Évangile ; mais pendant qu’elles ne font que cela, elles ont droit de prétendre au nom, à qualité, au rang, et aux priviléges des femmes d’honneur ! Elles méritent la censure de la chaire et celle des moralistes chrétiens : d’accord ; mais jusques à ce que le jugement du public ou celui des magistrats ait attaché une note d’infamie au train qu’elles mènent, on ne peut pas les qualifier malhonnêtes femmes, et quiconque l’entreprendrait serait condamné à leur en faire réparation authentiquement. Elles se peuvent fonder sur l’usage de tous les siècles, y ayant eu toujours bien des femmes vertueuses qui aimaient le jeu, le bal, le théâtre, et les pierreries ; et après tout elles ne choquent ni les lois civiles, ni les règles de l’honneur humain, et ne participent pas à une espèce de désordre qui ait été abandonnée aux femmes galantes, et qui en soit le propre et le caractère distinctif. Les poëtes qui dans une épithalame décrivent trop nuement une nuit de noces peuvent alléguer les mêmes moyens. Ils avoueront que leur muse pouvait s’employer plus louablement, et que la composition d’un sonnet chrétien était préférable à celle-là ; mais cette composition même n’était pas le meilleur travail qu’ils eussent pu entreprendre. Il eût mieux valu se plonger dans