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ÉCLAIRCISSEMENT

une foi qui est d’autant plus forte qu’elle n’est point soutenue par la raison naturelle. La raison s’affaiblit, où la foi se fortifie : la raison succombe, afin que la foi soit plus méritoire : cependant, ajoute ce père, ne croyez point que la raison envie la supériorité de la foi ; au contraire elle se soumet à elle librement, et avec humilité. Elle reprendra ses lumières dans le ciel où la foi ne sera point ; alors la raison moissonnera ce que la foi sème dans la vie présente ; et il est juste qu’elle ait le fruit de la foi, puisque présentement elle s’anéantit elle-même pour la laisser régner dans toute son étendue [1]. »

VI. Voilà ce que disent les catholiques romains : ôtez-en la Transsubstantiation, et mettez-y la Trinité, par exemple, les théologiens protestans les plus orthodoxes y souscriront volontiers. Je m’en vais citer deux protestans dont le témoignage aura d’autant plus de poids, qu’ils sont d’une profession qui ne passe point pour une école où l’on apprenne mieux qu’ailleurs à rabaisser la raison et à élever la foi. L’un d’eux est médecin, l’autre est mathématicien. Celui-là déclare que, lorsqu’il médite sur les mystères, il s’arrête toujours dès que la raison est parvenue à ce point-ci, ô profondeur [2] ! Il proteste que si la raison rebelle ou Satan travaillent à l’embarrasser, il se dégage de tous leurs piéges par cet unique paradoxe de Tertullien, Cela est certain, parce que cela est impossible. Nodos illos de Trinitate, Incarnatione, et Resurrectione, animi relaxandi gratiâ, mecum interdùm solitarius meditor, mentemque in his comprehendendis exercere soleo. Quæcumque mihi, aut Satanas, aut ratio rebellis objiciat, ea omnia uno illo paradoxo Tertulliani concilio et expedio, Certum est, quia impossibile [3]. Il y a des gens, continue-t-il, qui croient plus aisément parce qu’ils ont vu le sépulcre de Jésus-Christ et la mer Rouge ; mais pour moi je me félicite de n’avoir point vu Jésus-Christ ni ses apôtres, et de n’avoir point vécu au temps des miracles : ma foi eût été alors involontaire, et je n’aurais point de part à cette bénédiction, Bienheureux sont ceux qui n’ont point vu et ont cru. Il se fait une haute idée de la foi de ceux qui vivaient avant Jésus-Christ ; car, quoiqu’ils n’eussent que des ombres et des types, et quelques oracles obscurs, ils attendaient des choses qui paraissaient impossibles. Sunt qui promptiùs credunt, quòd Christi sepulcrum spectaverint, marique Rubro viso de miraculo nihil dubitant. Ego verò mihi gratulor, quòd in miraculorum tempore non vixerim, quòd nunquàm aut Christum, aut Discipulos viderim, quòd nec cum Israelitis mare Rubrum transierim, nec in eorum numero fuerim quos Christus per miracula sanavit : hic

  1. Dissertation sur les Œuvres de M. de Saint-Evremond, pag. 249 et suiv., édition de Paris, 1698.
  2. Obscuris aliquando deviisque vestigiis mysterium aliquod libens sequor, donec ad O Altitudo ratio perveniat. Thomas Browne, Religio Medici, parte I, sect. VIII, pag. m. 46.
  3. Idem, ibid.