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ÉCLAIRCISSEMENT

même nuire entre les mains de ceux qui abusent des meilleures choses ? Cela dispense-t-il les historiens de l’obligation de rapporter la vérité dans toute l’exactitude possible ? Ne faut-il donc pas qu’un historien des opinions en fasse voir exactement et amplement le fort et le faible, en dût-il naître par accident quelque désordre ? n’en dût-il naître autre bien que l’amusement des lecteurs, et un exemple de l’égard qu’on doit avoir pour les lois de l’art historique ? Mais ce n’est ni la seule ni la principale réponse que j’aie à donner.

Rien n’est plus nécessaire que la foi, et rien n’est plus important que de bien connaître le prix de cette vertu théologale. Or qu’y a-t-il de plus propre à nous le faire connaître, que de méditer sur l’attribut qui la distingue des autres actes de l’entendement ? Son essence consiste à nous attacher par une forte persuasion aux vérités révélées, et à nous y attacher par le seul motif de l’autorité de Dieu. Ceux qui croient par des raisons philosophiques l’immortalité de l’âme sont orthodoxes, mais jusque-là ils n’ont nulle part à la foi dont nous parlons. Ils n’y ont part qu’en tant qu’ils croient ce dogme à cause que Dieu nous l’a révélé, et qu’ils soumettent humblement à la voix de Dieu tout ce que la philosophie leur présente de plus plausible pour leur persuader la mortalité de l’âme. Ainsi le mérite de la foi devient plus grand à proportion que la vérité révélée qui en est l’objet surpasse toutes les forces de notre esprit ; car à mesure que l’incompréhensibilité de cet objet s’augmente par le grand nombre de maximes de la lumière naturelle qui le combattent, il nous faut sacrifier à l’autorité de Dieu une plus forte répugnance de la raison, et par conséquent nous nous montrons plus soumis à Dieu, et nous lui donnons de plus grandes marques de notre respect que si la chose était médiocrement difficile à croire. D’où vient, je vous prie, que la foi du patriarche des croyans a été d’un si grand relief ? n’est-ce pas à cause qu’il crut sous espérance contre espérance [1] ? Il n’y eût pas eu beaucoup de mérite à espérer sur la promesse de Dieu une chose très-vraisemblable naturellement : le mérite donc consistait en ce que l’espérance sur cette promesse était combattue par toutes sortes d’apparences. Disons aussi que la foi du plus haut prix est celle qui sur le témoignage divin embrasse les vérités les plus opposées à la raison.

On a donné à cette pensée un air de ridicule, et qui vient de main de maître. Le diable m’emporte si je croyais rien, fait-on dire au maréchal d’Hecquincourt. Depuis ce temps-là je me ferais crucifier pour la religion. Ce n’est pas que j’y voie plus de raison ; au contraire moins que jamais : mais je ne saurais que vous dire, je me ferais pourtant crucifier sans savoir pourquoi. Tant mieux, monseigneur, reprit le père, d’un ton de nez fort dévot, tant mieux ; ce ne sont

  1. Épître aux Romains, chap. IV, verset 18.